dimanche 8 novembre 2009

Les guerres de religion dans les pays d’Ariège au 16ème siècle


Les guerres de religion dans les pays d’Ariège au 16ème siècle
Michel Bégon octobre 1993


Une belle exposition du musée de l’histoire de France à Paris vient de nous présenter des documents rares sur le 16ème siècle ariégeois, qui fut, comme son titre l’indique, « de sang et d’or » ; cependant, elle ne s’est pas essayée à l’explication socio-historique. C’était peut être un motif de frustration, mais il faut bien considérer, à son excuse, que les passions nourries par les guerres de religion ne sont pas éteintes, et qu’il est parfois imprudent de les raviver. On doit quand même savoir que les historiens contemporains sont parvenus à en donner une théorie satisfaisante pour l’esprit scientifique.

Les commentateurs d’autrefois croyaient naïvement qu’il avait pu suffire que les uns chantent la messe en latin, et les autres lisent la Bible en français, ou que les premiers célèbrent l’Eucharistie, mais les seconds communient sous les deux espèces, pour s’étriper entre chrétiens. Dans ses Voyages de Gulliver, l’évêque Jonathan Swift n’évoquait-il pas la terrible guerre intestine entre ceux qui mangent les ?ufs à la coque par le petit bout et ceux qui les entamaient par le gros bout ? Nous n’en sommes plus à taxer ainsi les guerres religieuses d’absurdités, quitte à en savourer les carnages à grands renforts de descriptions sanguinaires autant qu’anarchiques. Les historiens d’aujourd’hui veulent les expliquer et rendre leur logique à ceux qui les firent.

Au tout premier rang, Emmanuel Leroy-Ladurie (catholique) et Michel Chaunu (protestant) en ont proposé une explication économique et sociologique, politique et parfois psychanalytique. Certes, ils n’ont pas traité de nos petits pays de Foix, de Mirepoix ou de Couserans ; mais leurs conclusions y sont aisément transposables et, mieux encore, peuvent y être affinées, compte tenu de la connaissance vécue que nous avons de l’histoire et de la géographie locales.

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Au 16ème siècle, la chrétienté d’Occident subit la même rupture que l’Islam du Moyen Orient au 20ème, entre les structures rurales traditionnelles et les nouvelles structures industrielles urbaines, avec son cortège de persécutions obligées dans les mentalités et sur la foi.

Tout au long de notre Moyen Age campagnard, le catholicisme s’était profondément pénétré des coutumes rurales, des croyances paysannes et des rites agraires, parfois hérités du paganisme (du latin « paganus », paysan). Les habitants des communautés villageoises aimaient se reconnaître dans les mythes, les représentations ou les cérémonies liés à la vie des campagnes et postérieurs au christianisme constantinien, qui fut la religion des grandes cités antiques par opposition aux cultes païens. Tous leurs thèmes, leurs images et les objets de piété témoignaient de cet attachement ancestral au terroir, à la propriété communautaire du sol et à la vie des champs : les crucifix des carrefours, les madones sur les chemins, la terre sainte du cimetière paroissial, le mythe du Bon Berger retrouvant la brebis perdue, la crèche de Noël et l’adoration des pâtres, les thèmes de l’agneau de Dieu et du Pressoir mystique, la vénération des sources et des grottes, le mystère de l’eau bénite, l’exorcisme des maléfices, la bénédiction des récoltes, la procession à travers champs et l’écoute des sonneries du clocher qui émerge, comme l’écrit Charles Péguy, de « la profonde houle et l’océan des blés ». Tout un système de symboles cohérents liaient le chrétien à sa paroisse et à son saint patron, protecteur de la communauté villageoise. Sans doute peut-on parler d’acculturation.

Bien entendu, la foi catholique s’est peu à peu adaptée à la sensibilité différente des gens des villes, par les relais successifs du jansénisme et du christianisme social. Mais l’Eglise du 16ème siècle n’en est pas là et reste sous la coupe du haut clergé percepteur de la dîme.

Or, voici dès 1530 que la Réforme surgit dans les villes et rejette ces agrestes dévotions, pour rechercher chez Saint Paul et Saint Augustin la tradition oubliée d’une foi plus intellectuelle et, en tout cas, mieux appropriée à la sensibilité des citadins, vivant en habitat groupé. L’imprimerie, qui suppose au premier chef le débouché des agglomérations alphabétisées, deviendra, dans l’imaginaire collectif, le symbole même de la Réforme religieuse de Luther et de Calvin. Aussi bien l’autel n’est-il pas dans les temples protestants surmonté du crucifix et du tabernacle, mais supporte-t-il la Bible, traduite en langue populaire.

Pour aller au fond des choses, il faut parler aussi d’une mutation dans le régime de propriété. La hiérarchie du clergé catholique et les familles chrétiennes où il se recrutait tiraient leurs ressources de la propriété du sol, de la dîme et des casuels. Le tiers ou le quart du sol français n’était-il pas bien d’Eglise ? C’est pourquoi Michel Chaunu relie ce catholicisme médiéval et tridentin à la rente foncière. A l’inverse, la Réforme abolit la hiérarchie cléricale et Calvin autorise le commerce de l’argent avec intérêt, jusqu’alors interdit par l’Eglise.

Or, même en ville, la Réforme ne recrute pas dans tous les milieux sociaux, mais chez ceux surtout qui sont les moins liés à la terre ou à la rente foncière, qui sont propriétaires avant tout de leur force de travail et de leur savoir-faire technique, qui sont rémunérés en argent et non pas, comme les ruraux, en nature. Ce sont les professions savantes et artisanales au premier chef, avec une extension fréquente vers les artisans ruraux. Leroy - Ladurie campe rudement cette opposition de deux groupes sociologiques qui ne se comprennent pas ou plus : « cardeurs huguenots et laboureurs papistes » (in Paysans du Languedoc).

Au 16ème siècle, les disparités entre les cités industrieuses et l’habitat rural dispersé, ainsi que les différences qui s’ensuivent entre les conceptions du monde respectives, tranchent trop abruptement pour ne pas susciter des frictions violentes, un peu comme une onde de choc se forme au raccord de deux milieux hétérogènes. Or, cette onde de choc se fait d’autant plus ravageuse que les deux milieux rural et urbain se jouxtent de plus près sur le terrain.

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Tel est, à cause de la géographie et pour leur malheur, le cas des pays d’Ariège à la Renaissance.

« Historiens, soyez géographes », s’exclame le fondateur de l’Ecole des Annales (Lucien Febvre in Combats pour l’histoire). Voyons donc bien que ces pays sont grevés à l’extrême par les disparités du relief, des écosystèmes, donc des territoires économiques.

En gros, quatre zones, dont deux seulement sont tout entières à l’agriculture. Les pénéplaines de piémont autour de Mirepoix, Pamiers ou Saint Girons sont accueillantes à la céréaliculture. Les hauts alpages favorisent l’élevage extensif. Ces régions demeurent essentiellement agraires au 16ème siècle et profondément catholiques. Au premier chef, le Couserans, jadis colonisé par les villas romaines et si riche de vestiges antiques, reste fidèle à sa romanité. Mais dans le pays de Foix, les masses granitiques et calcaires se hérissent de crêtes caillouteuses, peu hospitalières à l’homme et beaucoup à la forêt. Ici le peuplement est souvent tardif et suit l’essor démographique d’après 1450 ; les défrichements ne sont donc guère antérieurs au 16ème siècle ; la population, vite trop nombreuse pour l’exiguïté des champs, ne survit qu’en se convertissant à l’artisanat domestique. Par chance, ce territoire infertile est riche de mines, de torrents et de bois, propices à l’industrialisation. Quant aux collines du Terrefort, entre Mazères et le Carla, elles s’adonnent beaucoup à la culture du pastel, qu’il faut écraser et traiter dans des moulins à grand renfort de main d’?uvre, ainsi qu’à la confection d’étoffes grossières, le cadi, ces demi-produits allant à l’exportation vers Toulouse ou Montauban. Une telle économie qui se détache du sol passe à la Réforme. Autres sites, autres moeurs...

L’historien ariégeois François Baby montre la coïncidence des zones quasi-industrielles et des pays gagnés au calvinisme. On peut pousser cette superposition jusque dans le détail.

Aucune trace de protestantisme en haute montagne, à l’exception des villages de mines ou de forges catalanes, tels qu’Urs ou Les Cabannes, qui sont au contraire des repaires de huguenots. Le sire de Castelau-Durban, en Couserans, les fera passer au fil de l’épée. La pénéplaine fertile de Mirepoix reste agricole et catholique, alors qu’au sud, là où commencent les reliefs, les monts d’Olmes vont aux activités minières, aux textiles et au calvinisme. Ainsi la seigneurie de Léran (près de la Bastide de l’Hers) donnera son plus redoutable chef de guerre au parti huguenot, Claude de Lévis, baron de Léran et sire d’Audou. Dans la moyenne vallée de l’Ariège, les mines de fer ou de jais, les forges, l’artisanat du textile font de Foix, Montgaillard ou Tarascon des places de sûreté réformées, que l’Edit de Nantes confirmera. Les cluses du Plantaurel sont tellement peuplées d’artisans menuisiers, tonneliers ou tisserands que le canton du Mas d’Azil offre encore aujourd’hui la plus grande densité de temples protestants dans l’Ariège, comparable seulement aux Cévennes. En 1633, on ne compte au Mas d’Azil qu’un seul habitant catholique ! Les gentilshommes verriers protestants, jouissant du monopole de la fabrication du verre, installent leurs fours dans les forêts du Plantaurel, de Serre de Cor à Gabre et de Fabas vers Pointis. A Pamiers, les nombreux tisserands et teinturiers forment un noyau politiquement dominant de réformés. Pour l’ensemble du pays de Foix, la proportion est alors de deux protestants pour un catholique. Plus au nord, entre Saverdun et Mazères, les maîtres et ouvriers des moulins à pastel sont protestants. Mais il semble bien que le peuple rural des petits propriétaires, métayers ou même brassiers (ouvriers agricoles) y demeurent au catholicisme : n’aideront-ils pas l’armée du prince de Condé à prendre Pamiers d’assaut en 1628 ? Enfin, dans le Couserans, seuls les chaînons du Plantaurel accueillent quelques verreries huguenotes. Trois siècles avant qu’Aristide Bergès n’invente la « houille blanche », Saint Girons est seulement le gros marché aux céréales et aux bestiaux d’une région agricole et pieusement catholique. La ville dominante reste l’évêché de Saint Lizier dans les fortifications romaines.

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Déjà au 13ème siècle, la précédente poussée démographique avait fait apparaître la même opposition économique et confessionnelle entre, d’une part, les collines du Lauragais, les monts d’Olmes et la vallée de l’Ariège, où les tisserands et notables urbains adhéraient en masse au catharisme, d’autre part, le plat pays languedocien, resté rural, pauvre et catholique. Les cités se ralliaient aux Parfaits, à l’inverse des hameaux dispersés qui restaient à l’Eglise. Et si dans nos pays le catharisme se limitait à Foix, au plateau de Sault et à Montségur, c’est qu’à l’époque les chaînes du Plantaurel n’étaient pas défrichées.

Le catharisme a disparu au 14ème siècle, ses ultimes manifestations datant de 1320, alors que le reflux démographique entraînait déjà la fin de la surpopulation et le recul des activités industrielles.

Il n’y a donc pas, malgré ce qu’on dit souvent, de filiation spirituelle entre la foi des Parfaits, s’inspirant de la gnose dualiste de l’antiquité urbaine par le relais des cités byzantines, et le calvinisme, venu de la Flandre drapante où naquit Calvin, à Noyon. Si les manifestations anticléricales et revendicatives se ressemblent néanmoins, notamment les assauts contre les biens du clergé et le refus de la dîme, c’est, souligne Leroy-Ladurie, que les mêmes causes dans les mêmes conditions produisent les mêmes effets.

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Bien sûr les mentalités se heurtent. On a beaucoup insisté sur l’avance culturelle des protestants des villes, sachant déjà lire et écrire en langue d’oïl, par rapport aux paysans catholiques, demeurés analphabètes et patoisants. Mais est-ce l’essentiel ?

Car les modes de production s’opposent si fort qu’ils ne peuvent pas ne pas modeler les comportements. L’exploitation agricole au sein de la communauté villageoise d’autrefois est territoriale par nature : elle maintient les paysans sur la même paroisse, dans la continuité de l’héritage familial et sous l’autorité paternaliste du Père, du saint patron local, du recteur, voire, plus lointainement, du Pape. A l’inverse, l’industrie et le commerce naissants supposent déjà le marché du travail et des marchandises, où chacun est forcé de circuler librement pour offrir qui ses bras et qui ses productions au mieux-disant. Or, la libre circulation et la concurrence supposent à tout le moins la rupture avec les attaches territoriales et l’acculturation aux langages des contrats, des comptes, des marchandages, du numéraire, des taux de profit comparés, etc. Une telle rupture propulse ces classes d’artisans, industriels, commerçants et financiers dans l’agitation sans fin des négociations, des changements de patron et, parfois, de la grève.

Leroy-Ladurie n’hésite pas à comparer le petit peuple des ouvriers et compagnons réformés aux sans-culottes de l’An II. Bien auparavant, le vicomte de Joyeuse écrit à Catherine de Médicis que « le comté de Foix est un canton rempli de mutins, de gens séditieux et qui ne demandent que garbouge. ».

Mais surtout, les rendements de l’agriculture sont à l’époque beaucoup plus tributaires de la pluie et du soleil qu’il fait, ou ne fait pas, des intempéries ou des épizooties dont on pâtit, ou qui vous épargnent, donc apparemment de la bonté ou de la colère divines, que de la quantité de travail qu’on y met. La croyance aux rites propitiatoires, sacrifices, prières pour la pluie, intercessions contre la maladie, est presque obligée pour le paysan. Au contraire, l’artisan travaille à l’abri, et son salaire est fonction directe du temps passé à la tâche. Voici pourquoi, peut-on croire, le culte catholique des saints intercesseurs s’oppose si diamétralement à l’idéologie protestante de la valeur - travail.

Visitant le Mas d’Azil en 1635, l’évêque de Rieux, Mgr Bertier, y note l’étonnante valorisation du travail manuel, mais pour déplorer que les huguenots « travaillent tous les jours de festes chômables de l’année et bien souvent les dimanches », sur quoi, écrit-il, « nous avons faict des remontrances très aigres aux consuls et habitants ».

La théorie économique de la valeur - travail, selon laquelle le prix d’une marchandise ou d’un service est fonction du temps de travail social moyen qu’ils exigent, est née d’un autre pays protestant, l’Angleterre, et le philosophe orangiste John Locke s’en révèle, bien avant Smith ou Ricardo, l’initiateur.

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Peut-être pour éluder ce déterminisme géographique, nombre d’historiens invoquent la responsabilité des dynasties régnantes dans la propagation de l’hérésie, selon la règle du temps que les sujets embrassent la religion du prince.

Ils prêtent ainsi un rôle majeur aux Albret. Certes, avant 1540, Marguerite de Navarre, comtesse de Foix, accorde un sauf - conduit pour toutes ses terres aux prédicateurs évangéliques et les fait prêcher à Pamiers quand elle y tient sa cour. C’est ainsi que Jean Calvin se rend à la cour de Nérac en 1534 et qu’à en croire la légende, encore vivace, il aurait à son retour prêché au Mas d’Azil. En 1556, cinquante habitants de Foix demandent à Calvin, alors à Genève, de leur mander un « ministre » de l’Evangile ; ce sera Antoine Caffer. En 1559, les réformés sont déjà majoritaires à Pamiers. En 1560, Jeanne d’Albret, fille de Marguerite et mère du futur Henri IV, fait profession de foi réformée à Pau. Bientôt, les églises protestantes se constituent par grappes. Après 1590, la messe n’est même plus célébrée, pour tout le pays de Foix, qu’à Varilhes et à Ax-les-Thermes.

A quoi s’oppose le pays de Couserans, rattaché depuis 1498 au domaine royal et qui sera l’un des derniers à reconnaître la royauté d’Henri de Navarre, même après son abjuration.

On fait la même distinction pour la dynastie des Lévis, descendant d’un des barons du nord, auquel la croisade des Albigeois valut le fief de Mirepoix. La branche aînée des Lévis - Mirepoix reste fidèle à Rome, comme sa ville. Mais la branche cadette issue de Claude de Lévis, baron de Léran, se fait huguenote, comme les monts d’Olmes. Etrange chassé - croisé : en 1584, Henri de Navarre nomme Claude de Lévis gouverneur général du comté de Foix et chef du parti réformé, mais après l’abjuration lui substitue son cousin Lévis de Mirepoix, chef du parti catholique. Le sire de Léran n’aura plus qu’à mourir déçu dans son château de Belesta...

Ce rôle des grands n’est pas douteux. Mais dans quel sens l’interpréter ? On peut croire que le seigneur imprime sa marque à ses sujets, ou à rebours que les sujets imposent leurs convictions à leur seigneur, s’il veut conserver leur fidélité. Huguenot dans les Pyrénées, Henri de Navarre se fait par deux fois catholique, en touchant Paris (1572, 1593). Car Paris vaut bien une messe...

J’ajoute un souvenir familial. Les gentilshommes verriers du pays de Foix sont demeurés protestants, alors même que la plupart des familles nobles suivaient le bon roi Henri IV ou ses successeurs et revenaient à Rome. C’était, prétendaient-ils, pour ne pas se séparer de leurs ouvriers et commis, restés à la Réforme. On verra donc, au 18ème siècle, les assemblées du désert réunir dans les entrepôts de verre l’ensemble du personnel des verreries sylvestres, sous la garde des gentilshommes portant le tricorne et l’épée.

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Quant aux opérations militaires, elles sont très coûteuses en vies humaines et en dommages de toutes sortes. L’abbé Duclos, dans son Histoire des Ariégeois (1883), estime le nombre de morts à 5 500 pour le pays de Foix, 6 000 pour le pays de Rieux et 6 000 encore pour le Couserans, ce qui ferait plus de 20% de la population pour le 16ème siècle.

Mais il ne faut pas voir ces guerres de religion comme une guerre de position sur le modèle de 1914 - 1918, ni même comme une guérilla révolutionnaire du type de la guerre des Camisards, 120 ans après. Ce sont des expéditions en forme de coups de main pour la rapine et la rançon, qu’on lance seulement à la belle saison, quand il fait bon dormir dehors et qu’on peut piller les greniers pleins de la récolte, les vergers chargés de fruits ou les troupeaux gras de l’herbe fraîche. Ainsi Pamiers sera prise et reprise 5 ou 6 fois par les deux partis. En 1568, Lévis sire d’Audou prend Tarascon, mais les catholiques la reprennent, font carnage de huguenots, dont ils précipitent 66 du rocher dans le gouffre. En 1575, le même Lévis met le siège sous Saint - Girons, commandée par Saint Paul de Jarrat ; la ville capitule sans résistance ; mais quand les troupes protestantes se replient sur leurs bases, le parti catholique reprend la place sans coup férir.

Cependant, il semble bien que les assauts des huguenots soient plus particulièrement dirigés contre la propriété ecclésiastique, la collecte de la dîme, et toutes les rentes foncières des moines, pour ce qu’ailleurs on appelle la « sécularisation des biens du clergé ». Dès 1566, les protestants du Mas d’Azil s’opposent à la collecte des bénéfices, tant par le clergé que par le pouvoir royal. Ils emportent les gerbes du sol de la dîme, disant qu’ils « étaient évesques, chanoines et recteurs ». En 1568, des bandes huguenotes assaillent les abbayes de Lézat, de Combelongue, du Mas d’Azil, de Calers et des Salenques dont elles chassent les religieux et moniales. En 1569, une expédition est menée contre la cité épiscopale de Rieux par Vindrac, moine défroqué de l’abbaye de Lézat (ou du Mas d’Azil). Les huguenots de Mazères et Calmont détruisent l’abbaye de Boulbonne (aujourd’hui en Haute Garonne). A l’été 1669, l’armée des vicomtes, sous les ordres de Montgomery et de Bernard-Roger de Comminges, dévaste Montbrun et Sainte-Croix en brûlant les églises, en massacrant les ecclésiastiques et en se faisant indiquer les terres du clergé, pour y incendier les métairies, s’y emparer des blés ou, à défaut, mettre le feu aux gerbiers.

De fait, les abbayes visées ont disparu corps et biens : il n’en reste plus pierre sur pierre, souvent pas même le souvenir. Une attestation consulaire de 1599 note que les bâtiments abbatiaux du Mas d’Azil ont été rasés au sol et qu’ont été vendus les temporels du monastère bénédictin, datant de Charlemagne. Il faut dire que des temples protestants du 17ème siècle, se comptant pas dizaines dans l’Ariège seule, aucun non plus ne subsiste après la révocation de l’Edit de Nantes (1985) et après leur destruction aux frais des paroissiens.

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Dès l’abjuration de Henri IV, l’expansion du protestantisme plafonne à 15% de la population française. Comme le royaume compte alors 85% de paysans ou ruraux, ce seuil est infranchissable, mais s’agissant des gens des villes et cultivés, leur influence dépasse leur proportion démographique.

En Europe, la Réforme calviniste ne l’emporte au 16ème siècle que dans les régions peu propices à l’agriculture et qui développent précocement des industries d’exportation, ainsi la montagne genevoise et le Jura, les vallées alsaciennes, la Hollande des polders ou l’Ecosse, les contreforts méridionaux du Massif central, le pays de Foix, etc.

Mais bientôt un lent déclin va commencer, qu’on pourrait rapporter à l’affaiblissement démographique de l’Europe occidentale à partir de 1650 et qui affecte plus particulièrement les villes et l’industrie. La révocation de l’Edit de Nantes en 1685 ne fera que précipiter les choses, en provoquant l’exode d’environ un dixième des huguenots. L’onde de choc des luttes religieuses se déplace dans l’autre sens, mais toujours aussi fort, avec une contre-pression dont les dragonnades, les abjurations forcées, les interdictions professionnelles, les amendes collectives, les exécutions et les galères seront les douloureux symptômes.

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