dimanche 8 novembre 2009

Un résistant ariégeois d’Afrique : Charles Dagain


Un résistant ariégeois d’Afrique : Charles Dagain

Michel Bégon mai 2007

Aux heures du péril national, bon nombre d’hommes politiques, de militaires ou de fonctionnaires temporisent ou même trahissent, trop peu résistent et font jusqu’au bout leur devoir, de sorte que la rancœur des couards contre les héros se fait, après coup, inextinguible. Heureusement, la postérité saura rétablir quelque jour les faits réels.

L’Ariège du XIXème siècle était un pays très peuplé et même surpeuplé, donc des plus pauvre. Elle exportait dans le monde entier ses montreurs d’ours, ses chefs de cuisine et ses fonctionnaires. Charles DAGAIN naquit de vieilles familles ariégeoises et entra lui aussi dans la fonction publique. Or, il servit outre-mer.

Son grand-père était de Sabarat, petit village sur l’Arize, juste au nord du Plantaurel. Il fut instituteur rural en Ariège, puis meunier, quand il put acquérir le moulin de Rieutailhol sur le ruisseau de la Lèze, dans la petite commune de Gabre. Il y épousa Marie-Angélique de Robert-Lassagne, issue des familles de gentilshommes-verriers ariégeois. Son père naquit à Pointis-Mercenac, en Couserans, quand les verreries forestières y travaillaient encore, et se fit négociant en vins à Narbonne, pour la maison Veuve Ulysse Morin. Il épousa Mathilde de Verbizier-Verbizier, elle aussi descendante des gentilshommes-verriers de l’Ariége. De cette union, Charles DAGAIN est né en 1885 à Lamotte, près de Rieubach, sur la commune du Mas d’Azil, mais du côté de l’entrée sud de la grotte. Bien trop tôt il se trouva orphelin de père.

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Les études de Charles à Narbonne le menèrent à la capacité en droit. Comme déjà sa sœur s’était installée à Sétif, il fit son service militaire en Algérie. Puis, en septembre 1908, il réussit le concours de commis dans l’administration coloniale d’Afrique. Il y fera toute sa carrière, en accédant successivement aux corps d’adjoint des services civils de l’Afrique Equatoriale française (A.E.F.), en 1911, puis d’administrateur des colonies, en 1913, avant d’être promu aux plus hautes fonctions dirigeantes, à partir de 1940.

Ses premiers postes ont été dans la colonie française d’Oubangui-Chari, depuis devenue la République Centrafricaine, d’abord à Bangui, puis au lieu-dit de Pouroumbala. C’est alors qu’il se maria, en 1917, à une champenoise, Hélène Augé. Et c’est là qu’il fit sa guerre de 1914-1918, en participant à l’attaque du « Kamerun », alors colonie allemande, sous les ordres du colonel MORISSON. Ce territoire deviendra le Cameroun, en 1918, et passera sous mandat français, en vertu du traité de Versailles.

Hélas, Charles Dagain y contracta le paludisme, maladie terrible et invalidante, qu’en 2007 on ne sait toujours pas bien guérir. De 1917 à la fin de sa carrière, il sera victime d’accès récurrents du « plasmodium vivax ».

Après la victoire de 1918, Charles DAGAIN fut nommé administrateur colonial du Gabon, puis du Tchad. A ce moment, il eut son fils Jean , né en 1920, futur colonel de notre aviation de bombardement, ainsi que deux filles, aujourd’hui disparues.

Ses cahiers de travail démentent catégoriquement l’image négative qu’on voudrait aujourd’hui se faire de la colonisation française en Afrique Noire. Rien à voir ici avec les négriers du XVIIIème siècle, qui étaient des entrepreneurs privés ; c’est ici l’Etat républicain qui règne, assumant ses missions de service public dans l’intérêt général. Pas de tyrannie, ni de maltraitance, ni de prévarications, mais une attention passionnée aux intérêts vitaux de la population, notamment pour la mise en valeur du territoire et la lutte contre la désertification. A la date du 6 mars 1936, on y lit cette directive écologique :

« Faire des semis d’arbres du pays aux environs de Fort-lamy, dans le plus grand nombre d’endroits possible, partout où du bois a été coupé en excès pour la chauffe et aussi sur quelques poins favorables à leur croissance le long des routes ».

En outre, la rareté des terrains d’aviation, que les pluies d’été rendent trop souvent impraticables, le préoccupe tout particulièrement. Quand les routes sont coupées par les crues, ces pistes d’atterrissage sont les seuls liens avec l’extérieur. D’autres notes marquent sa vigilance pour les déplacements inopinés des populations, la diversification des cultures, particulièrement en faveur du riz, les vols de sauterelles, la contagion de la lèpre ou de la fièvre jaune, la pénurie d’interprètes ou d’écrivains publics, le sort des femmes, auxquelles la consommation de viandes semble interdite, et surtout contre l’esclavage local.

« Faits de traite constatés jusqu’en 1931. Enlèvement de femmes et d’enfants, vendus à Rey-Bouba, par l’intermédiaire des Foulbés. »

Sa préoccupation dominante est alors le maintien de l’ordre public contre les exactions des chefferies indigènes et les razzias de bétail, qui font fuir les paysans au Cameroun. Trop de chefs, sous prétexte d’impôt, « raflent » les maigres ressources des paysans !

Pendant 15 ans, de 1924 à 1938, Charles DAGAIN reste administrateur du district d’Ati, en plein Sahel, à 300 kilomètres à l’est du lac Tchad et non loin du Darfour. Puis, il assume, en 1938, l’intérim du gouvernorat de la colonie du Tchad. Son rôle s’élargit dès ce moment aux relations internationales, notamment avec la colonie italienne de LIBYE, alors soumise au régime fasciste, avec laquelle il échange des lettres diplomatiques. C’est l’époque de la guerre d’Ethiopie.

Or, voici que le ministre Georges MANDEL, celui-là même que la milice de Vichy assassinera en 1944, nomme Félix EBOUE, un citoyen noir de la Guyane française, au poste de gouverneur du Tchad. Les témoins diront de ce haut fonctionnaire qu’il avait l’éloquence d’un « intellectuel de gauche ». Mais bref, ce choix d’un homme de couleur, qui pouvait paraître quelque peu démagogique en janvier 1939, ou trop en avance sur son temps, s’avérera décisif pour l’histoire de la France. En mars 1939, son intérim prenant fin, Charles Dagain est nommé à Bangui inspecteur des affaires administratives du territoire de l’Oubangui-Chari. Bientôt la guerre va lui faire jouer un rôle stratégique.

Les envieux le qualifieront vilainement de « satrapicule barbu ». En effet, né de race pyrénéenne, il n’est pas grand, plutôt chauve et porte une épaisse barbe, comme ceux d’avant 1914. Moi qui l’ai bien connu, quand j’étais enfant, je le comparerais plutôt à SOCRATE, tel que le décrivait Platon. Il émanait de lui une forte et souriante autorité. Volontiers, il portait le « short » au genou des coloniaux.

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Le 22 juin 1940, le gouvernement du maréchal PETAIN renonce à combattre l’Allemagne et conclut l’armistice avec le IIIème Reich pour le territoire de la France métropolitaine. Le 10 juillet, le coup d’Etat militaire, ratifié par le Parlement, abolit la République pour la « Révolution nationale ». Cependant, la convention d’armistice, qui coupe la France en deux zones, l’une déjà occupée par l’envahisseur, l’autre pas encore, mais qui le sera aussi dès 1942, ne concerne pas l’Empire colonial de la France, lequel reste officiellement aux ordres du gouvernement de VICHY. En effet, Adolf HITLER juge inutile pour le moment de disperser ses troupes en Afrique, car il en a besoin pour envahir d’abord l’Angleterre, les Balkans et la Russie. Plus tard, il jugera que ce fut là une erreur fatale, car l’Afrique Noire sera la porte d’entrée des alliés dans son système européen. Voici donc d’immenses territoires, des administrations, des contingents militaires et des forces navales qui se retrouvent, en marge du conflit et à distance de Vichy, obligés de s’autodéterminer localement.

L’appel que le général de GAULLE lance depuis Londres à la poursuite de la guerre, le 18 juin 1940, n’est guère entendu en France métropolitaine, qu’accablent les blindés, les stukas et les flots de réfugiés, mais il est écouté dans les colonies de l’Empire. Certes, le général n’est alors que sous-secrétaire d’Etat du gouvernement REYNAUD, mais ce titre ministériel l’autorise à se présenter auprès des fonctionnaires d’outre-mer comme le chef de la France libre et à prendre leur commandement. Dès le 20 juin, le comptoir indien de Chandernagor, puis, dès le 22 juillet, le condominium des Nouvelles-Hébrides, ensuite, le 27 juillet, la Nouvelle-Calédonie se rallient au « Comité national français », constitué à Londres. Il est vrai que ces territoires inclus dans les zones d’influence britannique n’avaient guère le choix qu’entre l’adhésion ou l’invasion. Beaucoup plus décisif est le ralliement à la France libre du Tchad, le 26 août 1940, du Cameroun, le 27, du Congo, le 28, puis, peu après, de l’Oubangui-Chari.. Ayant accueilli René PLEVEN, émissaire du général, qui les convainc de leur devoir, Félix EBOUE et ses collaborateurs, dont Charles DAGAIN, optent ensemble pour la résistance aux côtés des Britanniques.

Ce sursaut est d’autant plus courageux et s’avèrera d’autant plus tranchant que les autres colonies françaises ne l’épousent pas, approuvent sans murmurer l’étouffement de la démocratie et restent fidèles au gouvernement de Vichy. Elles recevront même les français libres et les alliés à coups de canon, en faisant des milliers de morts de part et d’autre.

Tout d’abord, Vichy envoie trois croiseurs depuis Toulon, pour reprendre d’assaut les colonies rebelles d’Afrique équatoriale. Mais cette flottille rencontre des vaisseaux britanniques et se replie sur Dakar, port principal du Sénégal, ce qui fera malheureusement échouer la tentative de débarquement franco-britannique prévue par CHURCHILL et de GAULLE dans cette colonie. Le 23 septembre 1940, l’opération de reconquête du Sénégal contre Vichy avorte, sous les coups tirés par le cuirassé « Richelieu », en provoquant la mort d’un millier de combattants et d’autant de civils. A titre de représailles, l’artillerie française du Maroc bombarde Gibraltar. Mais en novembre 1940, les français libres prennent le Gabon par la force armée, non sans y faire une centaine de morts. Ainsi commence la guerre civile entre pétainistes et gaullistes, laquelle se poursuivra bien au-delà de 1945. Ce schisme politique répète celui de 1936 qui coupa l’Espagne en deux camps. L’Afrique occidentale française se prononce donc pour le camp antidémocratique et l’Afrique équatoriale prend la voie républicaine.

Les historiens ne s’expliquent guère ce divorce politique au sein même de l’Empire français. Ont-ils seulement voulu le comprendre ? Rappelons d’abord que les « indigènes », dans leur grande masse, n’ont pas voix au chapitre et que seuls quelques notables choisis sont éventuellement consultés. Les décisions se prennent donc entre coloniaux et en petits comités, où prévalent évidemment les raisons sociologiques et les mobiles idéologiques. Or, la plupart des colonies de l’Empire sont alors sous la domination économique et politique d’intérêts commerciaux et de propriétaires fonciers, à l’opinion conservatrice, sinon raciste, et ces milieux dirigeants approuvent sans réticence la fin des hostilités ainsi que l’abolition de la démocratie. L’affirmation du principe d’autorité personnelle leur apparaît tout naturelle. On reste stupéfait à lire le « Livre d’Or de la Semaine Impériale Française au Sénégal », que le haut commissaire BOISSON et le gouverneur REY dédient au maréchal Philippe PETAIN en juillet 1941, composant tout un florilège mystique à plusieurs voix, militaires, civiles, ecclésiastiques et indigènes, pour louer en Lui le « Sauveur ». Voici, par exemple, comment le président de la chambre de commerce du Sénégal et de Mauritanie célèbre le chef de l’Etat Français :

« La France, après avoir été menée par des politiciens incapables ou criminels à un désastre sans précédent dans son histoire, a eu le bonheur et la consolation de trouver l’Homme, le Français qu’il lui fallait pour l’arrêter au bord de l’abîme. Tous les hommes de bon sens et de cœur, tous les vrais Français doivent se serrer autour du Maréchal PETAIN qui sauvera la France, comme il l’a déjà sauvée à Verdun, et s’unir sous les signes de l’Ordre, de la Discipline, du Travail, de la Famille et de la Patrie ». (archives de Charles DAGAIN)

Tous les responsables de la colonie du Sénégal ont été conviés à cette allégeance de type féodal au maréchal de France. Par quelques expressions plus réservées, on devine cependant qu’elle a été imposée sous la contrainte à certains fonctionnaires coloniaux.

Au contraire, l’Afrique Equatoriale Française, de climat torride et de terres pauvres, où il n’est pas encore question de pétrole, est placée sous le contrôle quasi-exclusif des fonctionnaires territoriaux, dont le républicanisme peut s’afficher ouvertement à cette occasion. Il n’étonnera d’ailleurs personne qu’un haut fonctionnaire ariégeois soit d’opinion républicaine ! Les discours officiels de Charles DAGAIN préfigurent donc tous ceux que les gaullistes prononceront par la suite, jusqu’à aujourd’hui, dans le registre des valeurs patriotiques, humanistes et démocratiques. Mais il y a plus…

Dès l’été de 1940, l’Etat de Vichy fait la chasse aux Juifs, aux gens de couleur, aux francs-maçons, aux syndicalistes, aux socialistes et aux communistes. Ce parfait reniement des principes humanistes de 1789 ne fait pas que déshonorer la France aux yeux des alliés contre l’Axe ( le président américain F.D.Roosevelt estimera que « la France n’existe plus » et entendra la démembrer après la victoire) ; il suscite surtout chez les républicains la volonté de résister coûte que coûte.

Une loi du 13 août 1940 interdit les « associations secrètes », c’est-à-dire toutes les obédiences maçonniques, suspectes de fidélité aux « Droits de l’Homme ». Elles sont déclarées dissoutes et leurs membres sont exclus, comme les Juifs, de la fonction publique. Bien sûr la maçonnerie continue clandestinement et rejoint le général de Gaulle en tant qu’autorité légitime. Or, les correspondances échangées à cette époque entre les responsables de l’Afrique équatoriale française montrent sans ambiguïté, d’abord par l’abondance des signes de reconnaissance (les trois points !), que les maçons sont bel et bien à l’origine du ralliement à la France Libre. Les militaires rejoignant de GAULLE en font souvent partie; et l’on cite au moins le nom de l’amiral MUSELIER. Malheureusement la prudence et le secret militaire ont fait que Charles DAGAIN n’a pas tenu les mêmes cahiers qu’avant la guerre, ce qui nous aurait permis d’en savoir davantage.

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On ne saurait d’ailleurs surestimer l’importance stratégique que prend alors l’Afrique Equatoriale Française, pour le gouvernement provisoire de la France Libre, d’abord, mais, aussi bien, pour les alliés anglo-saxons contre les forces de l’Axe. Tandis que les Américains et même les Britanniques entendent reconnaître Vichy, Pétain, Darlan et, plus tard Giraud, comme les seuls représentants authentiques de notre pays, la France Libre trouve dans l’A.E.F. son territoire de légitimité et sa capitale politique, Brazzaville. Il s’y est formé un noyau d’officiers supérieurs et de haut fonctionnaires qui lui sont entièrement acquis. Le 27 octobre 1940, avec l’appui d’Eboué, de Dagain et de beaucoup d’autres, Charles de Gaulle crée à Brazzaville, au Congo, le Conseil de Défense de l’Empire. Depuis Londres, il s’y rendra fréquemment, souvent accueilli par Charles Dagain sur l’aéroport de Pointe-Noire. Aux mauvais jours il menacera de s’y retrancher et de s’y claquemurer. C’est de cette Afrique équatoriale, par le Tchad, que les colonnes de la division LECLERC rejoindront les Britanniques au Fezzan pour livrer la bataille de Bir-Hakheim.

Mieux encore, l’A.E.F. devient d’emblée le relais stratégique pour les flottes de la Royal Air Force gagnant le Proche-Orient et, par conséquent, leur point de blocage possible. Quand les Anglo-américains s’empareront de MADAGASCAR, le 5 mai 1942, sans l’accord préalable de la France libre, les autorités gaullistes, par représailles, feront préparer l’interdiction de survol des territoires et l’internement des officiers britanniques. Ce qui forcera Londres à composer.

Le général de LARMINAT, nouveau gouverneur général de l’A.E.F., nomme Charles Dagain, le 2 septembre 1940, son délégué à Pointe-Noire. Puis, il lui confie diverses missions diplomatiques en Afrique même et notamment auprès de l’Union Sud-africaine. Celle-ci est alors un « dominion » britannique et s’aligne politiquement sur la position de CHURCHILL et ROOSEVELT, visant à obtenir le retour pur et simple de la France de Vichy dans l’alliance occidentale, en la détachant des Nazis. Elle entretient à cet effet des relations diplomatiques avec l’Etat français de Vichy et accueille au Cap un ambassadeur de PETAIN. Charles Dagain est chargé de convaincre l’Union sud-africaine que cette voie est sans issue et qu’il vaut mieux s’appuyer sur la France Libre, c’est-à-dire faire confiance aux « Free French ».

Signé à Brazzaville le 24 février 1941, le décret n° 67 du général de LARMINAT, devenu Haut Commissaire de l’Afrique française libre, nomme Charles Dagain en mission à Johannesbourg. Ainsi notre administrateur en chef des colonies devient un ambassadeur bis et l’agent d’influence officieux qui convaincra l’Union sud-africaine de son erreur. En se présentant comme un résident français du Cap, il publie en anglais des articles de presse pour alerter l’opinion contre la trahison de PETAIN et de ses partisans. L’Allemagne ayant envahi l’Union soviétique, à partir du 22 juin 1941, il rappelle notamment que Vichy forme la Légion des Volontaires Français (L.V.F.) pour seconder l’agression ou qu’un bateau français, saisi par les Britanniques, transportait de Madagascar à Marseille des gaullistes pour y être fusillés. Finalement, il confèrera avec le premier ministre Jan Christian SMUTS des conditions de la lutte commune contre l’Axe.

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Contre cette opposition républicaine, le régime de Vichy réagit avec rudesse, en instituant d’emblée, le 30 juillet 1940, une Cour Suprême de Justice, « chargée de juger les ministres, les anciens ministres et leurs subordonnés immédiats,civils ou militaires, d’avoir trahi les devoirs de leurs charges. ».Il s’ensuit le procès de Riom, destiné surtout à prouver que les juifs BLUM et MANDEL auraient provoqué la guerre contre l’Allemagne, mais l’auraient alors perdue par leur lâcheté. Cette parodie de justice, voulue par HITLER pour convaincre son opinion publique de la culpabilité des juifs dans le déclenchement de la guerre, n’aboutira pas. Mais, dès l’automne 1940, le tribunal militaire de Clermont-Ferrand, présidé par le général FRERE, condamne Charles de GAULLE à mort pour avoir « déserté » et s’« être mis au service d’une puissance étrangère ».

Une procédure parallèle est menée contre Charles Dagain, dès lors qu’il devient l’ambassadeur officieux de la France libre en Afrique du Sud. Le 31 mars 1941, il est révoqué de l’administration coloniale par un arrêté de Vichy. Le 1er août 1941, le contre-amiral PLATON, secrétaire d’Etat vichyste aux colonies, communique son dossier au Tribunal Militaire Permanent de Dakar, pour qu’il soit jugé. En effet, ce tribunal condamne Dagain à mort pour trahison, mais bien sûr par contumace. On n’a pas le texte de la décision de ce tribunal, car il est probable qu’il a été brûlé peu après, pour épargner aux juges des représailles.

Certes, Charles Dagain reste hors d’atteinte ; il peut se déplacer dans les territoires de la France libre ou du « Commonwealth » ; il est normalement rétribué par l’administration gaulliste, qu’alimente le Trésor britannique (lequel sera remboursé après la guerre). Mais son épouse Hélène et ses enfants, demeurés à Gabre, en Ariège se voient priver de toute ressource et réduire à la gêne jusqu’à la Libération. La famille survit grâce à l’aide des parents d’Hélène et parce que quelques commerçants du Mas d’Azil lui font crédit permanent jusqu’à la victoire. Cependant, Charles parvient à communiquer avec sa femme en prenant comme pseudonyme dans ses lettres le nom du ruisseau de Gabre…

Entre mai et août 1943, le Comité Français de Libération Nationale installe son autorité sur l’Algérie et, dès septembre, sur la Corse. Le 20 décembre 1943, les anciens gouverneurs vichystes d’Algérie et du Sénégal sont arrêtés. Le 24 novembre 1943, au nom du général de GAULLE, René PLEVEN donne l’ordre de nommer Charles Dagain gouverneur du Sénégal. La décision prend effet du 2 décembre et jusqu’au 30 mai 1945.L’ironie du sort est que Charles Dagain est nommé à la tête de la colonie où il a été condamné à mort !

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Sa tâche est difficile. D’abord parce que les livraisons de vivres aux allemands ont privé la colonie de ressources indispensables à la population et qu’il faut l’assistance des Etats-Unis pour éviter la famine. Ensuite parce que les notables sont restés les mêmes qui avaient signé les dithyrambes au maréchal PETAIN, évoqués plus haut, et qu’il faut bien composer avec eux.

Le gouverneur gaulliste du Sénégal gagne la bataille alimentaire. Voici comment un notable africain de Kaolack l’en remercie :

« Quand je considère les innombrables tournées que vous avez faites cette année pour vous assurer que le ravitaillement des populations rurales s’effectue d’une façon normale, déjouant ainsi les embûches du gros commerce, annihilant la force d’inertie opposée par certains fonctionnaires, [ je pense que] si vous n’aviez pas fait ce qui a été fait, c’est un plan de campagne de répression d’émeutes que l’on établirait à l’heure actuelle et les grosses maisons qui ont manifesté au Gouvernement Général et ailleurs tant d’hostilités à votre méthode de ravitaillement, seraient actuellement blotties derrière vous pour vous supplier de les protéger contre les masses en colère. Quand je considère que, sans vous, cet affreux tableau serait une réalité, sans l’ardent patriotisme, la générosité et la libéralité qui vous personnifient, le Sénégal aurait sombré… Quand j’examine les sentiments que m’inspirent votre personnalité, le résultat demeure le même : LA RECONNAISSANCE. De nombreuses notabilités indigènes ont exprimé des sentiments analogues à votre endroit et souventes fois. Donc le nègre est capable de reconnaissance.etc… » (DJIM MOMAR GUEYE-2 novembre 1944)

Mais la prudence que les nouveaux gouverneurs doivent adopter vis-à-vis des anciens pétainistes mécontente quelques patriotes. En témoigne cette lettre anonyme, adressée au Gouverneur général de l’Afrique Occidentale Française (A.O.F.) COURNARIE,et qu’on peut, semble-t-il, dater du printemps de 1944 :

« Il y a deux mois et demi, vous arriviez à Dakar, salué par les acclamations de tous les patriotes dont vous incarniez les espoirs et par les hypocrites salutations de tous les « collaborateurs » dont vous concrétisiez les craintes….[Mais] deux mois et demi [après] où est l’indispensable épuration ? Qu’avez-vous fait contre les profiteurs de Vichy, contre ceux qui ont livré les ressources économiques de l’A.O.F. à l’ennemi, contre ceux qui, au su de tout le monde, étaient et sont encore des agents de l’Allemagne ?...Monsieur le Gouverneur Général, nous jugerions criminel de vous cacher plus longtemps notre désillusion et notre indignation. Ce n’est pas là ce que nous attendions de vous. Ce n’est pas ça que représentait pour nous la France Combattante. »

Pourtant, sous l’autorité de DAGAIN, la politique coloniale change brusquement de style ! On a lu plus haut les éloges des « indigènes ». Au surplus, Dagain ne cache pas ses opinions gaullistes. Devant célébrer à Saint-Louis-du-Sénégal l’armistice du 8 mai 1945, en face d’ une grande assistance, il fait jouer, c’est normal, la « Marseillaise » ainsi que les hymnes nationaux des alliés occidentaux, puis, constatant que la musique militaire ne connaît pas l’hymne soviétique, il chante tout seul, debout, a cappella et en grand uniforme, l’ « Internationale ». C’est que l’Union Soviétique est alors le plus ferme allié de la France libre et qu’en février 1945 le général de gaulle est allé signer à MOSCOU avec Staline le traité d’amitié franco-soviétique.

Comme gouverneur du Sénégal, Charles Dagain contribue à organiser la fameuse conférence de Brazzaville, qui, le 30 janvier 1944, sous la présidence de Charles de Gaulle, préfigure l’évolution des colonies françaises d’Afrique vers l’indépendance. Il participe aux débats confidentiels et aux manifestations publiques. Les photos de l’époque le montrent aux côtés du général. Aussi bien croit-il exprimer tout le sens de cette conférence par ses discours démocratiques devant le conseil colonial du Sénégal. En réalité il se montre très en avance sur l’histoire !

« L’instauration d’une véritable démocratie, inspirée des principes mêmes qui dirigent dès maintenant la vie de la France métropolitaine, [conditionne une politique générale d’administration du Sénégal]. D’abord élever la masse tout entière, sans secteurs sacrifiés, sans classes favorisées, puis susciter une élite ayant la volonté de servir cette masse, sortie du peuple sénégalais, travaillant par et pour ce peuple. Faire de tous les Sénégalais des hommes véritables… » (discours du 3 octobre 1944 à Saint-Louis).

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Les coloniaux font pression pour le départ de Charles Dagain. Justement, il atteint la limite d’âge : on ne lui donnera pas de prolongation pour « nécessité de service ». Et il sera remplacé par un ex-sympathisant du régime de Vichy.

Charles Dagain prend sa retraite en juin 1945, à l’âge de 60 ans. Il retrouve sa famille à Gabre, en Ariège. Mais l’adversaire ne lui laisse pas de répit. Un beau matin de la France enfin libérée, la police vient l’arrêter en exécution du mandat d’amener émis en 1941 par le tribunal militaire de Dakar pour qu’il soit fusillé .Le commissaire de police s’exclamera, en cherchant à s’excuser auprès de lui: « que voulez-vous, nous avons aussi un mandat d’amener pour Charles de Gaulle ! ». On le relâchera, bien sûr, mais l’amertume lui restera, avec un brin d’ironie…

L’ancien gouverneur du SENEGAL a laissé en Afrique un souvenir d’autorité, de droiture et d’humanisme si fort que tous ceux qui l’ont connu à l’époque voudront exprimer leur vif attachement auprès de ses enfants et petits-enfants revenus servir sur ce continent.

Charles Dagain passera ses vieux jours au moulin de Rieutailhol, sur la commune de Gabre, parmi les murmures du ruisseau de la Lèze et les soupirs de sa forêt de chênes, toujours entouré des masques africains, des harpes, des boucliers, des sagaies et des flèches empoisonnées qu’il avait rapportés de là-bas. Quand avec mes frères, nous pêchions en maraude les écrevisses dans son ruisseau, souvent nous l’avons vu pointer vers nous sa barbe grise et entendu nous décocher quelques bons mots. Une fois, il nous a fait entrer au moulin pour nous montrer comment battre le tam-tam. Il est décédé en 1960.



Eléments de bibliographie

Jean LACOUTURE : de Gaulle 1 le rebelle. Editions du Seuil 1984
Jean-Pierre AZEMA et olivier WIEVIORKA : Vichy (1940-1944) Perrin 1997
Archives de la France d’outre-mer à Aix-en-Provence
Archives personnelles de Charles Dagain, communiquées par sa famille
Archives des Etats africains sur Internet.

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