dimanche 8 novembre 2009

La République du sud-ouest et le siège du Mas d’Azil (1625)


La République du sud-ouest et le siège du Mas d’Azil (1625)
Michel Bégon février 2005


Vingt ans après l’Edit de Nantes, la reprise des guerres de religion, entre 1619 et 1629, a pris des caractères si originaux que la France actuelle en reste marquée. Apparaissent à ce moment là des formes politiques qu’on retrouvera sous la Révolution française et jusqu’en plein XXIe siècle, pour le meilleur ou le pire.


I. Les traits originaux des secondes guerres de religion

Distinguons-en quatre des plus saillants.

Tout d’abord, ces guerres de religion se sont cantonnées au sud-ouest du pays, en dessous d’une ligne imaginaire qui rejoindrait La Rochelle (en Charente-Maritime) à Alès (dans le Gard), avec pour théâtres centraux les contreforts du massif central et les Pyrénées ariégeoises. Les protestants du nord et de l’est n’y ont pas participé. D’une part, la répression les orientait plutôt vers le jansénisme, ainsi qu’on l’a vu de la grande dynastie des Arnauld, d’abord huguenote sous Henri IV, puis prenant la direction de Port-Royal. Un cheval de Troie au sein du catholicisme, dont sont issus Lakanal et l’abbé Grégoire ! D’autre part, nombre d’auteurs croient voir dans la résistance armée des calvinistes gascons et cévenols le signe de l’irrédentisme persistant des peuples anciennement vascons. Ce qui apparaît fort plausible.

Second trait, ce furent des guerres populaires. Les premières guerres de religion, entre 1562 et 1598, avaient fait s’affronter les grands lignages seigneuriaux pour le pouvoir politique, attendu que 40 % environ de la noblesse s’était ralliée à la Réforme de Calvin. Mais au fil du XVIIe siècle, et surtout après 1619, celle-ci devait abandonner le protestantisme, pour lui préférer les honneurs, les charges et les bénéfices que la royauté lui offrait, contre sa conversion. Tel fut le revirement de Condé ou de Lesdiguières. Quant à Sully, il opta pour l’abstention. Vers la fin des combats, parmi les grands seigneurs, il ne restait plus que les deux frères Henri de Rohan et Benjamin de Soubise, à la tête de l’insurrection populaire. Délaissé, le peuple occitan prit sa propre cause en mains, en s’assemblant pour délibérer et en s’unissant pour soutenir la guérilla. Les villes étaient désormais dirigées par le conseil de tous les chefs de famille, sans plus de privilège pour les nobles ni les grands bourgeois, et passaient donc sous la coupe « de la lie du peuple, crocheteurs, bouchers, rabobilleurs de souliers, valets de corroyeurs et autres personnes de cette étoffe », que dénonçaient les espions du roi Louis XIII. Ce fut la « République du sud-ouest », ou la République des synodes, préfigurant 1789.

Troisième trait, la réaction défensive des privilégiés devant l’insurrection démocratique, fut de se constituer en caste fermée. Bon nombre de seigneurs et bourgeois huguenots abjurèrent pour échapper aux pressions populaires. En tant que « nouveau converti », le prince Henri II de Condé se fit tout aussitôt le grand massacreur de ses anciens coreligionnaires, au mobile qu’il fallait coûte que coûte les ramener à l’obéissance, proposant même à Louis XIII de « dépeupler ce pays de ses habitants qui ne surent jamais ce que c’était d’obéir au roi » (lettre du 23 avril 1628). La suite d’une telle fracture sociale fut le resserrement de l’état nobiliaire par les réformations de Colbert et sa transformation en noblesse de Cour, bénéficiant de l’exclusivité des charges et prébendes, sous l’interdiction de déroger, par un malheureux processus d’involution que les historiens Pierre Chaunu et François Furet appellent la « castification ».

On a donc tort habituellement de considérer la persécution de la Réforme comme le prix à payer pour l’unité du royaume sous un prince catholique. Car il en est bien plutôt résulté cette faille politique et sociale, dont procéda la Révolution française et qui a sans cesse rejoué par les guerres civiles des XIXe et XXe siècles. Le Royaume-Uni, qui sut ménager la coexistence des religions, même la judaïque à partir de 1650, accueillir les huguenots français, éviter la « castification » de sa noblesse et respecter les libertés, a ainsi pu imposer sa domination mondiale à une France divisée et paralysée.

Ultime remarque, la théocratie de Bossuet, que la monarchie imposait aux protestants et aux jansénistes, était-elle toujours le catholicisme du concile de Trente ? Les historiens jugent qu’il s’agissait plutôt d’une « religion royale », proposant à la vénération le corps mystique du roi, en lequel était censé s’incarner le corps du royaume. C’était plutôt un programme politique, forgé pour justifier la « castification » de la noblesse. Ou une idolâtrie ! Sûrement pas la « vraie foi » à l’aune de Vatican II.


II. A l’assaut des libertés

La question religieuse était moins spirituelle que financière. Car l'Eglise gallicane de 1619 était organiquement différente de l'Eglise catholique d'aujourd'hui. Elle échappait à l'autorité du Pape et fixait ses propres règles avec l'accord du roi. Celui-ci y nommait seul les évêques et confiait les charges épiscopales à sa noblesse de Cour. Dans ces conditions, l'Eglise d'Ancien Régime était devenue la quasi-propriété de deux ou trois centaines de grandes familles qui s'en partageaient les revenus, mais délaissaient leur ministère ; cependant que le bas-clergé assumait les missions sacerdotales, sans avoir mieux que la fameuse "portion congrue". Le système était notoirement parasitaire. L'opinion en avait conscience, sans trouver l'issue.

Les nobles restaient partagés, hésitants et souvent jouaient double jeu. Le peuple du Languedoc les qualifiait « d’escambarlats ». Mais le clergé n’avait jamais vu dans l’Édit de Nantes qu’un compromis provisoire, permettant de gagner du temps et de refaire des forces, avant la solution recherchée : l’éradication de la Réforme. Les propos agressifs que tenait le cardinal de Richelieu devant les États généraux de 1614 - 1615, ne laissent pas de doute. Il s’agissait, moins d’acte de foi, que d’une volonté de recouvrer les biens, les bénéfices et les rentes, qui permettaient de nantir les cadets de famille de lucratives « commendes », mais que les protestants avaient, comme au Royaume-Uni ou en Allemagne, sécularisés, monnayés ou mis en vente.

C’étaient des patrimoines énormes et des ressources considérables, puisque encore en 1789 le clergé possédait le quart du royaume et avait pour recouvrer ses ressources son propre réseau de receveurs. Déjà les Etats Généraux de 1561 avaient demandé, mais vainement, que cette richesse fût mise à la disposition du roi. Les Etats Généraux de 1789 le feront, ce qu’un moqueur résumera sur un air connu de Gluck :

« J’ai perdu mes bénéfices
Rien n’égale ma douleur,
Sort cruel, quel supplice ! »

La stratégie de revanche était de remettre en cause pièce à pièce l’Edit de Nantes de 1598, jusqu’à ce que, n’en restant presque plus rien, son abrogation fût de pure forme, et de conditionner l’aide financière au roi, le « don gratuit », par son appui militaire contre les protestants.

Le premier grand coup consista, en 1619, dans la décision royale de rétablir le culte catholique en Béarn, principauté des Albret, et d’y intervenir à force ouverte, pour restituer ses biens au clergé, sans indemnisation des propriétaires. Ce qui revenait surtout à y rétablir la dîme et les congrégations.

Moyennant quoi le clergé de France se sentit généreux. Alors que son « don gratuit », octroyé tous les cinq ans, ne dépassait pas les 300 000 ou 400 000 livres, celui de 1621 fut fastueux, avec trois millions de livres. Il est vrai qu’il n’y perdait pas tout. Ce qu’il donnait au roi d’une main, il le récupérait de l’autre, par la dîme, les casuels, les fermages réinstallés dans le sud-ouest.

Echange de bons procédés, Louis XIII nomma premier ministre le porte-parole du clergé lui-même, le cardinal et duc Armand de Richelieu, pour lui donner les mains libres. Dans son Esprit des Lois, Montesquieu le juge fort tyrannique :

« Quand cet homme n’aurait pas eu le despotisme dans le cœur, il l’aurait eu dans la tête » (Esprit des Lois V, IX).

Or, sentant la menace, le peuple réformé du grand sud-ouest entra en rébellion. Les cités huguenotes de Saintonge, Guyenne, Languedoc et comté de Foix se défendirent avec vigueur, toutes classes sociales confondues, et souvent jusqu’à la mort. Certaines cités furent exterminées : Nègrepelisse, Réalmont, Privas et partiellement Pamiers (en 1628). Toulouse fut l’alliée du roi. La guérilla s’installa dans les campagnes, soutenue surtout par les montagnards cévenols, qui poussèrent des commandos extrêmement mobiles jusqu’au Comté de Foix et au Mas d’Azil.

Il y eut en fait trois guerres, entrecoupées de paix vite remises en cause, parce que les armées royales furent défaites en 1621 au siège de Montauban, avec la mort du duc de Luynes, et en 1625 au siège du Mas d’Azil, pour ne l’emporter finalement qu’en 1628 au siège de La Rochelle et en 1629 au siège d’Alès.


III. Le siège du Mas d’Azil

Le Couserans est toujours demeuré catholique et fidèle au roi. Le Comté de Foix s’est partagé, dans l’épreuve, entre les zones catholiques, notamment le haut-pays, et deux régions tenues par les réformés, à savoir la plaine de Pamiers, Saverdun, Mazères et les collines du Mas d’Azil, comprenant Camarade, Gabre, Sabarat, Les Bordes et le Carla. Pourquoi cette géographie ? Les persécutions avaient poussé les huguenots à se regrouper autour de leurs places les plus sûres, qui hébergeaient davantage d’artisans et formaient les cités les plus industrialisées. Le Mas pratiquait en grand l’industrie du cuir. Aussi la prise des deux chefs-lieux, Pamiers et le Mas d’Azil, était-elle pour les assaillant l’enjeu décisif.

Le commandant en chef de la région protestante du haut Languedoc était le duc Henri de Rohan lui-même ; et son lieutenant pour le Comté de Foix, le sieur de Lévis-Léran.

Le Mas d’Azil, dont l’abbaye bénédictine avait été supprimée dès 1569, constituait une petite forteresse, protégée par les falaises calcaires du Plantaurel, le lit torrentiel de l’Arize, deux bastions et une muraille escaladant le Castera. A l’époque, les routes de la grotte et de la passe du Cabaret n’étaient pas ouvertes et l’accès se faisait par dessus la chaîne karstique, à partir des Bordes ou de Campagne. Le Mas disposait d’un millier de soldats, d’une population dévouée de 2 000 âmes, mais pas d’artillerie, ni de cavalerie. Les commandants de la place étaient Damboix et Larbont.

En 1625 donc, ayant massacré Calmont, le maréchal de Thémines marcha par la vallée de la Lèze, en contournant le Carla et en attaquant les Bordes, avec 15 000 hommes. Il fut retardé par la guérilla sur les étroits et rocailleux chemins du pays. Au nord du Carla, à la métairie de Jean Bonnet, sept hommes d’une famille fixèrent l’assaillant pour deux jours, en lui faisant perdre 50 soldats. Aux abords des Bordes, un groupe de 30 huguenots l’arrêta aux Bourrets, en lui infligeant 30 tués. Ces défenseurs occis ou pendus, l’armée put enfin franchir la crête entre les Bordes et le Mas, pour s’installer au-dessus de la position, à partir du 10 septembre 1625. Mais cette date était trop tardive, comme les Ariégeois le savent d’expérience climatique.

Quelques détachements réduisirent la Tour de Gabre, la forteresse de Serre de Cor (au-dessus d’Aigues-Juntes) et celle de la Vieille (à Camarade). Thémines campa ses 12 régiments d’infanterie, ses 600 cavaliers et ses 23 pièces d’artillerie dans les vignobles, qui à l’époque ceinturaient le Mas d’Azil, entre le dolmen du Cap del Pouech et le Cahoué, ou sur la vaste prairie de Castagnès.

Mais les protestants avaient eu le temps de couper les ponts de Arize, de renforcer les bastions et de mettre la grotte en défense. La caverne, qui abritait de très nombreux réfugiés, était protégée de murailles et de grilles. Le capitaine de Robert de Gabre en assurait le commandement. Jamais l’assiégeant ne put couper la grotte du bourg et ses assauts y échouèrent l’un après l’autre.

Le maréchal de Thémines fit commencer le bombardement du Mas et creuser des tranchées d’approche dans les marécages d’aval, à partir du 17 septembre. Le grand temple de la porte d’Albech est alors vite détruit ; mais les pluies des 19 et 20 inondèrent les tranchées et, le 21, une troupe de 50 cévenols, venue du Lauragais, s’introduisit dans la place en renfort ; puis sous de nouvelles pluies, dans la nuit du 24 au 25, Dusson, seigneur de Bonnac, rejoignit aussi le Mas avec 60 hommes. A l’évidence, l’armée royale manquait de conviction et d’efficacité. Le 9 octobre, sur l’ordre du duc de Rohan, le capitaine Gaultier de Saint-Blancard rallia la ville avec 350 soldats et en consolida les fortifications. Exaspéré, Thémines fit écraser la cité à coups de canon : 550 tirs le 10 octobre, 445 le 11, 259 le 12, ravageant tout, puis donner l’assaut par le nord, dans l’après-midi du 12, avec 1 600 soldats d’élite.

Or, la garnison résista méthodiquement. Plus encore, la population avait pris des armes de fortune et appuyait les troupes régulières. Les femmes du Mas se couvrirent de gloire sur les remparts, à renverser les échelles ou à jeter des pierres, et, malgré leurs pertes, capturèrent deux officiers du roi. Des barils de poudre semèrent la dévastation dans les brèches. Quand il eut perdu 600 tués et autant de blessés, le maréchal sentit l’échec et ordonna la retraite. Les défenseurs n’avaient qu’une soixantaine de morts.

L’armée royale évacua la place, dans la boue de pluies diluviennes, entre le 14 et le 21 octobre 1625. L’annonce de la victoire raviva l’espérance chez tous les réformés du sud-ouest. Et trois siècles après, les Aziliens restent fiers d’un tel succès de la foi et du courage contre l’oppression.

Il faut dire que ces faits d’armes sont rapportés seulement par des sources protestantes : Dusson et Saint-Blancard. Peut-on y soupçonner quelque exagération ? Le côté royal a préféré le silence.


IV. Persécutions

En juin 1629, la capitulation d’Alès et la signature du traité de paix, contresigné par Dusson et Damboix au nom du comté de Foix, ouvrirent la longue série des persécutions.

En 1633 et 1634, les fortifications du Carla et du Mas d’Azil sont démantelées. La grande salle du temple, dans la grotte, est minée. Les Bénédictins, réfugiés à Montbrun depuis 1589, firent retour. Pourtant les huguenots, restés majoritaires, persistaient à vivre comme auparavant et à chanter leurs psaumes dans les rues du bourg. Aussi l’épiscopat pressa-t-il la royauté d’en finir.

Car le financement des abjurations volontaires coûtait cher, trop cher. Le clergé devrait prendre en charge, une fois convertis, les pasteurs et étudiants en théologie, qu’on appelait les « proposants », et les maisons de « nouvelles converties », dont les dépassements de budget passaient les bornes.

Pour l’exercice de 1686, il lui en coûtait 133 000 livres au total. A quoi s’ajoutait le prix des missions de conversion, soit 100 000 livres annuelles. Tout cela sans résultat suffisant. Mieux valait donc consentir à Louis XIV un gros effort financier d’un coup pour obtenir de lui une mesure d’autorité. Aussi l’assemblée du clergé se résolut-elle à porter le « don gratuit », qui était resté à 3 millions de livres depuis 1629, aux montants de 12 millions de livres en 1690 et 10 millions de livres en 1695. Après quoi, la R.P.R. (religion prétendument réformée) supposée disparue, il revint pour 1700 à l’étiage ordinaire de 3 500 000 livres.

De fait, les choses ne traînèrent plus en longueur. En 1680, les protestants du Mas d’Azil se virent définitivement exclus du conseil de l’hôtel de ville. On leur confisqua les dons et legs amassés pour les pauvres. En 1683, le temple, à peine reconstruit, est démoli à leurs frais. En 1685, l’Edit de Fontainebleau, révoquant l’Edit de Nantes, les priva du droit de célébrer le culte et de tenir l’état civil. Puis ils furent obligés d’abjurer collectivement.

Alors plusieurs familles choisirent l’exil et formèrent à Bex, dans le canton de Vaud, une petite communauté mas d’azilienne, qui perdura longtemps. D’autres, dit-on, gagnèrent la Prusse. Et l’historien Pierre Chaunu de souligner que l’immigration huguenote fit de cette contrée sous-développée la grande puissance qu’on sait.

Monseigneur François de Harlay de Champvallon présidait l’assemblée générale du clergé quand il obtint du roi la révocation de l’Edit de Nantes, moyennant les subventions exceptionnelles. Il se flatta de l’« extinction du calvinisme ». Mais l’archevêque n’en aura pas pour son argent !


Bibliographie sommaire

Alice Wemyss : Les Protestants du Mas d’Azil, histoire d’une Résistance 1680-1830 – Privat 1961
Général d’Amboix de Larbont : Le Siège du Mas d’Azil en 1625 - Société d’édition de Toulouse 1913
Pierre et Solange Deyon : Henri de Rohan - Perrin 2000
Claude Michaud : L’Église et l’Argent sous l’Ancien Régime - Fayard 1991

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