dimanche 8 novembre 2009

Poème : « Dans la grotte du Mas d’Azil »


Poème : « Dans la grotte du Mas d’Azil »

Michel Bégon août 2004

Avant-propos

Ce long poème est largement autobiographique. Mais il n’a de sens que par référence à des faits historiques ou actuels, dont la connaissance n’est sans doute pas acquise au-delà des frontières ariégeoises. Aussi bien a-t-il semblé utile de les signaler d’abord, parce que la science et l’art vont de pair.

Le massif du Plantaurel résulte d’un soulèvement des sédiments de la mer crétacée (65 millions d’années avant notre ère) dont il reste d’innombrables fossiles, des œufs de dinosaures ou des coquillages, tous hélas fragiles. Enfant, j’y admirai une huître merveilleusement préservée, mais qu’on a brisée et dont je garde la nostalgie. Le relief de la grotte est calcaire et percé de galeries : les géologues le disent « karstique ». Ce fut un asile pour l’ancien peuplement des Pyrénées, les Vascons, dont les préhistoriens américains font grand cas, à la différence de leurs confrères français. Sans doute est-il bien connu que la grotte du Mas d’Azil a recélé des gravures magdaléniennes de bisons percés d’une flèche (comme à Niaux), des propulseurs sculptés, dont le plus fameux montre des oiseaux se nourrir de la fiente d’un faon, ainsi qu’un crâne féminin du XIIème millénaire avant notre ère, plus les galets peints, d’époque azilienne (VIIème millénaire), formant une paléo-écriture qu’on n’a pas à ce jour décryptée. Les fouilleurs furent Piette, l’abbé Breuil et les époux Mandement.

Mais, en dépit de la légende, et bien qu’une voie romaine passe non loin, entre le Mas d’Azil et Camarade, les épisodes paléo ou chrétien ne sont pas attestés dans la grotte. Celle-ci n’est entrée dans l’histoire qu’avec son érection en forteresse au moyen-âge. Elle fut alors munie de fortifications et de portes de fer. Les forges catalanes produisaient ce matériau moderne en abondance ! Au siège de 1625, les régiments royaux ne purent prendre le site aux Protestants du cru, pour lesquels il reste un lieu de mémoire.

C’est le cardinal de Richelieu qui, au nom de Louis XIII, fit ruiner les fortifications et miner la salle dite du Culte. Curieusement, un rocher dessinait en contre-jour son profil, jusqu’aux années 1980 où quelque inconnu le détruisit. Son évocation se réplique par l’aphorisme catholique de « memento mori » (« souviens-toi qu’il faut mourir »), qui accompagnait la représentation traditionnelle de la tête de mort et symbolisait la fragilité de l’existence terrestre. La route départementale 119 fut aménagée à travers la grotte en 1854, pour joindre le Mas d’Azil à Maury, puis, après une inondation, rehaussée de six mètres.

Pendant la guerre de 1939-45, les belligérants songèrent à cacher dans certaines grottes ariégeoises des ateliers fabriquant des avions de combat, loin des fronts septentrionaux, et on aplanit toute une salle au Mas d’Azil pour la firme Dewoitine, qui n’est heureusement jamais venue. Quant aux artisans actuels, chacun peut leur rendre visite.

Ceci dit, il convient qu’une poésie, pour garder son mystère, ne soit pas totalement claire au lecteur. J’y laisserai donc quelques zones d’ombre, qui n’appartiennent qu’à moi.


A Marie-José

Dans la grotte du Mas d’Azil

J’ai rêvé d’un voyage au centre de la Terre
Jusqu’aux tréfonds de l’ante-cambrien
Où des mers enfouies sous des arches austères
Retentiraient des combats de sauriens

Mais il est là ton rêve à portée d’une marche
Par les forêts que hantent les moustiques
Droit au lac de Filhet et jusqu’à la grande arche
D’où les cinglés sautent à l’élastique

Tel une hydre embusquée le Plantaurel a pris
Le Mas d’Azil dans ses plis en otage
Et dore ses vieux os sous un ciel de Capri
Non sans garder la caverne en partage

C’est un rocher karstique à donner le vertige
Creusé d’un trou qu’on aurait dit l’enfer
N’eussent les sieurs d’Albret jaloux de leur prestige
Mis leurs armes sur ses portes de fer

L’obstacle étant sévère on passait par les hauts
Avant qu’on ne fît le tunnel hors-normes
Les chariots transbordaient aux clameurs des ho-ho
Sur l’escarpement leurs fardeaux énormes

Combien les ouvriers ont brouetté de terre
Coiffés du béret ou de la casquette
Pour étayer le gouffre et purger son mystère
A coup de pics de pelles et de piquette

L’antre obscur boit l’Arize et dévore la route
Dans l’impavidité des blanches crêtes
Que de morts oubliés sont pétris dans sa croûte
Et que d’amours il a tenues secrètes

L’homme s’y est terré quarante millénaires
Né de l’étreinte de l’ombre et des eaux
Sculptant pour dérider les chasseurs débonnaires
Les propulseurs au faon et aux oiseaux

J’ai découvert le site avec les Mandement
Tout jeune avant que leur retraite approche
Et rampé dans la boue à leur commandement
Pour voir la chasse aux bisons sur la roche

L’Arize un soir de crue nous légua l’écriture
Des galets bleus aux signes rubescents
Qu’ont peint des paysans au milieu des fritures
Pour témoigner des âges vieillissants
Leurs rébus effacés perdrons-nous nos ancêtres
Qui plus que nous aimèrent ces falaises
Et que restera-t-il de nous qui trop sûrs d’être
N’avons laissé que nos pas sur la glaise

J’avais on m’a brisé l’huître mystérieuse
Coquille irisée de nacre fossile
Qu’entre la voie romaine et les bosquets d’yeuses
M’avait laissée l’océan des nautiles

Il tombe sous le porche un faux-jour plus livide
Qu’était l’antre de la Sibylle à Cumes
Un lierre pend tout noir du dôme dans le vide
Et l’Arize entravée bave d’écumes

Dans cette sape en S où les destins se broient
Le gave lutte avec l’ombre tenace
Tantôt pour la pousser à l’ultime paroi
Mais tantôt captif gémir en sa nasse

Ce fut le château fort de nos héros d’en-bas
Qui défendaient leur foi et leurs chaumières
En livrant aux rentiers du sol le bon combat
Pour qu’à la nuit succédât la lumière

L’an seize-cent-vingt-cinq soutint le siège horrible
Des cruels régiments du roi Louis
Qui tonnaient au canon sur les fous de la Bible
Puis lys fanés se sont évanouis

La rotonde attroupa les cultes protestants
Que présidaient les pasteurs du Désert
Venus avec un peuple aux falots tremblotants
Prier Dieu qu’il mît fin à leurs revers

D’ordre du roi on fit sauter le sanctuaire
D’un coup de mine entendu à trois lieues
Démolir les remparts remplir les mortuaires
Afin que l’ordre régnât en ces lieux

Ce qu’il filtre de jour recrée de grandes ombres
Où l’on reconnaissait le cardinal
Avant qu’on ne jetât son bec d’aigle aux décombres
Et l’éteignît comme on mouche un fanal

Sous la falaise nord aux tours jadis détruites
L’eau resurgit dans le bief des moulins
Mes oncles et mon père y prenaient force truites
Qu’ils vendaient au Mas pour des fifrelins

Bruissant le café de la grotte flanquait
La maison louée par mes grands-parents
Les buveurs d’anisette et d’absinthe y moquaient
En patois d’oc les flâneurs pérorants

Quand vint la guerre brune on ne vit plus grand monde
Mais passions-nous l’antre vers Maury
Cent corneilles prenaient leur vol de trous immondes
Aux cris geignards d’un memento mori

On conçut d’y monter les moteurs Dewoitine
Pour les protéger des bombardements
L’idée de transformer la caverne en usine
N’a pas plus tenu que les Allemands

La voûte résonnait au trot des carrioles
Qui nous emportaient à tambours battants
Nos feux de croisement semblent des lucioles
Ecloses soudain dans la nuit des temps

Le gouffre s’est changé en haut-lieu touristique
Où l’on court de Foix et cités voisines
Voir au musée Grévin du Paléolithique
Renaître les Cro-Magnon de résines

Au lieu du vieux café travaille un céramiste
En fait deux potières policées
Tournant lustrant cuisant pour la joie du touriste
Jarres et pots aux pauses vernissées

Un maître-verrier blond a garni de ses fours
La halle aux filtres d’épuration
Où de sa canne ardente il souffle au goût du jour
Les pommes d’or de la tentation

Du renfoncement part l’escalier des visites
Pour six euros veuillez suivre le guide
Qui en une heure vous commentera le site
Peuplé de crânes d’ours à l’œil languide

La reine de la nuit est une jeune fille
Morte peut-être avant ses dix-sept ans
Dont le chef exhumé consacre d’une esquille
La race niée des Vascons d’antan

Le contre-jour émeut l’antique ébrasement
Que l’Arize soit basse ou qu’elle gronde
De la magie du rêve et des enchantements
Où les chauves-souris dansent leur ronde.

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