dimanche 8 novembre 2009

Les verreries de Pointis – Mercenac


Les verreries de Pointis – Mercenac
Michel Bégon mai 2009


Ce fut autrefois un pays de forêts et de loups. Ses immenses collines de grès rendaient peu hospitalière la région septentrionale du Saint-Gironnais, mais n’en accueillaient pas moins, dès les débuts du XVIIème siècle, une bonne vingtaine de verreries au bois avec les gens qui les exploitaient. Les familles des Verbizier, composées de gentilshommes-verriers venus de la vallée du Lot, y fabriquaient, avant même les années1600, flacons, burettes et porrons, que des colporteurs vendaient sur les marchés locaux. Puis d’autres gentilshommes-verriers, issus du comté de Foix, les rejoignirent, tant les grandes forêts offraient de la place, du bois de chauffe et du travail pour tous.

Il semble que Clovis de Robert du Falga ait été indirectement à l’origine de la première verrerie de Pointis, située sur la paroisse de Mercenac en Couserans (aujourd’hui appartenant à l’Ariège occidentale). Né aux verreries des Garils à Gabre, en Comté de Foix, il les quitta vers 1680 pour les régions plus humides et plus boisées de l’ouest pyrénéen. Il y créa la verrerie de Mauvezin de Sainte-Croix sur les pentes du mont Cabanère. Puis, son fils Robert afferma les bois du vicomte de Pointis et Betchat, plus à l’ouest encore, pour y aménager, lui aussi, des fours à verre. Sans doute créa-t-il le hameau de Pointis, où sa postérité fut nombreuse. Or, il fut bientôt rejoint par Abel de Robert de Lafregeyre, venu quant à lui des verreries d’Arfons en Montagne Noire (aujourd’hui dans le Tarn). Lui aussi fit souche nombreuse.

Ces gentilshommes-verriers étaient protestants, ainsi que leurs ouvriers, et le restèrent après la révocation de l’Edit de Nantes par Louis XIV, même dans les cruelles épreuves. Notamment, la célébration en 1745 de plusieurs cultes clandestins tout près de Pointis attira la répression : elle fut punie de plusieurs condamnations aux galères et par la destruction de toutes les verreries du Couserans ainsi que du Volvestre, avec l’interdiction de les reconstruire. Plusieurs de ces verreries ne s’en relevèrent jamais, celle de Poudelay par exemple; mais Pointis reprit bientôt son activité, concentra plusieurs lignées de gentilshommes-verriers et retrouva pour longtemps la prospérité.

Au début du XIXème siècle, deux verreries distinctes, appartenant aux Verbizier et aux Robert, animaient le petit hameau industriel. Leurs vestiges subsistent, assez reconnaissables, malgré les transformations successives. Un temple protestant y fut aussi édifié, qu’on peut voir encore, mais converti en habitation, dont Nicole Gaulaz (Verbizier Latreyte) reste aujourd’hui propriétaire. L’aisance acquise sous la monarchie de Juillet permit même aux maîtres verriers de faire bâtir d’élégantes demeures de style néo-classique qui existent toujours. Parmi elles, la maison d’Alexandre de Robert –Bousquet (1814-1882), trisaïeul du signataire du présent mémoire. Né en l’an II et mort en 1878, François de Robert de Lafregeyre fut maire de Mercenac.

La principale verrerie était tenue par les Robert Monner, qui la géraient comme un consortium familial. La volonté de préserver la tradition des gentilshommes-verriers y était si forte que les mariages se nouaient toujours entre les trois mêmes familles nobles et que les verriers coupables de mésalliance avec une roturière s’en voyaient éliminer. Puis, par mariage, la succession à la tête de la verrerie passa aux Robert de Lafregeyre.

Cependant, bon nombre de maîtres- verriers n’habitaient Pointis que pour la campagne d’hiver et séjournaient l’été à Gabre (Ariège), qui restait à l’époque le sanctuaire des Robert. Ceux-ci possédaient donc deux maisons à cinquante kilomètres de distance. C’était le cas notamment d’Alexandre de Robert-Bousquet, qui se partageait entre Pointis et Comavère, ou bien de Théophile de Robert-Bousquet, qui vivait tantôt à Pointis et tantôt au Claux ( dans la commune de La Bastide de Sérou). Les correspondances qu’on a gardées témoignent des échanges entre les jeunes, travaillant au verre à Pointis-Mercenac, et les anciens, restés dans les vieilles demeures de Gabre ou La Bastide. Parfois elles annoncent de terribles nouvelles: la mort soudaine des enfants, sans qu’on ne sache plus aujourd’hui qui c’était.

A partir du Second Empire et surtout de 1882, les affaires périclitèrent. Les pays de Foix et de Couserans se dépeuplaient pour les villes, en perdant à la fois leurs meilleurs ouvriers et leur clientèle locale. La concurrence des verreries au charbon, implantées dans les villes, faisait du tort. Et la crise économique de 1882, surgie d’une spéculation boursière et d’un krach financier, entraîna la « grande dépression », laquelle fit disparaître en Europe beaucoup de petits ateliers. D’abord on diminua les effectifs, en priant les jeunes gens d’aller ailleurs. Ce fut le cas de Léopold de Robert-Bousquet, né à Pointis en 1846 et fils d’Alexandre, qui dut s’expatrier pour les verreries de Moussans, dans l’Hérault. La verrerie des Robert de Lafregeyre ferma définitivement en 1883, non sans que ses co-propriétaires aient eu entre eux maille à partir pour la dévolution des actifs. Léon de Grenier-Lalée de Magnoua fut appelé en arbitrage, selon ce que nous révèle une lettre de Pointis retrouvée, un siècle plus tard, dans une Bible de Neufchâtel.

Une autre lettre, signée d’Alexandre de Robert et datée du 6 mars 1881, nous apprend qui commandait à l’époque finale la grande verrerie. « Il me tarde, écrivait-il, de savoir si Joël et Eugène ont fait four mort ». Ces deux personnages seraient, semble-t-il, deux frères, à savoir François-Joël et Paul-Eugène de Robert de Lafregeyre, nés tous deux en 1825, de Jean de Robert Lafregeyre et d’Elisabeth de Grenier-Niger.

La verrerie des Verbizier-Latreyte persévéra quelque temps et disparut à son tour avant 1900. A sa fermeture, l’arrière-grand-père du président actuel de la Réveillée dut aller souffler le verre à Bordeaux. Parmi tous les descendants des gentilshommes-verriers de Pointis, certains restèrent verriers un temps, d’autres optèrent pour la fonction publique, en se faisant instituteurs ou agents des colonies. Quelques uns se convertirent au commerce du verre, comme les frères Charles et Louis de Verbizier- Latreyte, qui tinrent à Toulouse un magasin de verreries médicales. Ce Charles de Verbizier a laissé un nom dans l’histoire, en étant l’ami de Jean Jaurès et en ralliant le parti communiste français au congrès de Tours, en 1920.

Samuel de Verbizier-Latreye, fonctionnaire des colonies, mais décédé à Pointis, était le père d’Eugène de Verbizier, artisan doreur à Paris, qui présente ci-dessous les mémoires de sa jeunesse à Pointis. Mais tout ceci n’est plus qu’une légende. Le dernier des Robert de Pointis, instituteur à Betchat, est mort en 2000. Et les derniers Verbizier de Pointis vivent désormais à Paris ou Toulouse. Personne au pays ne porte plus les noms des grands ancêtres.

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