Le catharisme pyrénéen
Michel Bégon mars 1995
Résumé: Toute légende à part, le catharisme pyrénéen et la guerre des Albigeois pourraient bien n'être qu'une phase, particulièrement sanglante, de la conversion européenne de l'économie foncière à l'économie monétaire, le catholicisme traditionnel se fondant sur la féodalité rurale et la rente foncière, mais le christianisme cathare, plus mercantile et urbain, s'attaquant aux assises-mêmes du clergé.
Les anciens contre les modernes
La Croisade des Albigeois, la chute de Montségur et l'extermination des Cathares suscitent encore d'âpres controverses. Le romantisme occitan y voit l'acmé et la mort de la civilisation languedocienne, celle des troubadours et de Clémence Isaure. Certains historiens louent au contraire l'Inquisition d'avoir extirpé l'hérésie par l'holocauste, en inventant une "solution finale" qui n'a cessé, jusqu'à nos jours, de se répéter. Mais l'école historique des Annales, et notamment Emmanuel Leroy-Ladurie, ont replacé cette guerre de religions sur le terrain très matériel des luttes entre deux systèmes économiques, disons à gros traits : foncier contre mercantile, où toute légende s'évanouit, singulièrement le très ou trop fameux mythe du Saint Graal.
On s'efforce ici de reprendre les apports des historiens dans la plus large perspective, en conjuguant tous les points de vue possibles, de la démographie au droit et à l'économie, et en localisant les données sur les territoires pyrénéens, qui forment aujourd'hui les départements de l'Ariège, de la Haute-Garonne et de l'Aude.
Ce qui reste vrai de la légende, c'est qu'à l'époque romane le midi de l'Europe, entre Barcelone et Constantinople, était économiquement plus développé et culturellement plus civilisé que sa partie septentrionale, et qu'il s'en suivait, non sans jalousie et cruauté, l'hostilité des retardataires. Nous mesurons aujourd'hui au sein de l'Islam les mêmes clivages qu'autrefois au sein de la Chrétienté, opposant farouchement les intégristes aux modernistes. En effet, on se rappellera que vers l'an 1200, l'unité française n'existait pas, et que s'affrontaient dans le royaume, d'une part, les plaines agricoles et féodales du nord, Paris n'y étant encore qu'une grosse bourgade à demi-champêtre où le roi ne venait qu'occasionnellement, d'autre part, l'économie déjà presque monétaire et industrielle du midi pyrénéen, avec déjà de grandes cités marchandes, telles que Toulouse, dont les remparts faisaient sept kilomètres de tour, ou Cahors, première place bancaire de l'époque. Or, en ce 13ème siècle, la féodalité rurale l'emporta sur les cités marchandes, et l'interprétation cléricale des Evangiles sur leur interprétation symbolique.
Une théologie épurée
En général, on commence l'exposé du catharisme par de longs développements théologiques, difficiles à suivre dans leur subtilité. Tranchons-y net. Toutes les religions admettent une double interprétation, selon qu'elles s'adressent à des ruraux analphabètes qui veulent voir la divinité dans les apparitions et la toucher par les reliques, ou à des citadins, voire des itinérants, sachant lire et écrire, lesquels prétendent vivre leur foi personnelle par l'accès direct aux Saintes Ecritures, épuré de tout matérialisme.
Le catharisme (du grec "cathairos": pur) fut une version spiritualiste, élitiste et aniconique (sans image sainte) du christianisme, venue de Constantinople jusqu'à Milan, Avignon, Barcelone ou Toulouse, par l'intermédiaire, pense-t-on, des Bogomiles de l'actuelle Bosnie. On croit même savoir que les anciens Cathares de Bosnie se sont au 16ème siècle convertis à l'Islam, autre religion aniconique, non sans faire parler d'eux aujourd'hui encore par leur opposition aux paysans serbes orthodoxes.
Sous cet éclairage, les particularités théologiques et sacramentelles du catharisme s'insèrent dans une logique parfaite et quelque peu obsessionnelle :
conformément à la conception néo-platonicienne de la foi, Dieu et le principe du Bien sont purement spirituels, immatériels, invisibles et impalpables ; a contrario, les choses matérielles, réputées impures, n'appartiennent qu'au principe du Mal ("Deus non fecit visibilia": Dieu n'a pas créé les entités visibles). Il s'agit d'un dualisme classique, dans la tradition de la Gnose byzantine.
par conséquent, le Christ n'a pu s'incarner dans un corps mortel, et n'a vécu parmi les hommes qu'en apparition. C'est le dogme fondamental des Monophysites d'Alexandrie.
par conséquent aussi, le baptême chrétien ne saurait être administré grâce à de l'eau, chose impure, mais par l'imposition des mains, comme si un fluide invisible passait du Parfait au fidèle. Ce sacrement, appelé "consolamentum", exigeait une telle pureté du "consolé" qu'il n'était guère acté qu'à l'article de la mort.
sont exclus des édifices cultuels les objets précieux, les reliques et les icônes.
toute propriété d'immeubles et tous revenus de droits réels sont refusés aux prêtres, qui s'en remettent aux dons et quêtes en argent des fidèles. Ce qui implique l'interdiction de participer à la levée de la rente foncière, notamment par les dîmes.
le clergé cathare est réduit à quelques dignités : évêques, diacres et bons hommes, d'ailleurs mal définis, et démunis de ressources affectées. Il semble même que ces prêtres soient itinérants, n'étant attachés à aucun territoire matériel.
Cette doctrine a parfois fait nier que l'église cathare fût chrétienne. Mais les recherches récentes attestent que les Cathares pratiquaient la Bible, Ancien Testament compris, avec cependant une prédilection pour l'Evangile de Jean et les épîtres de Paul, plus spécialement conçus à l'attention des citadins. D'ailleurs l'Eglise catholique, pour combattre l'hérésie, ne dut-elle pas interdire aux particuliers de détenir la Bible, hormis le psautier, le bréviaire et les heures, à condition qu'ils fussent en latin ?
"Il me paraît certain qu'à Montaillou, le catharisme est vécu, par ceux qui l'ont adopté, comme une variante extrême et héroïque du christianisme, et non pas comme une religion non chrétienne. Pour tout dire, le catharisme de Montaillou, au regard des indigènes, est tout simplement le vrai christianisme." (Emmanuel Leroy-Ladurie: Montaillou, village occitan de 1294 à 1324).
La rente foncière et le profit marchand
Pour expliquer, s'il se peut, les différences de mentalités que reflète la guerre religieuse, on introduit ici une idée simple, à savoir que s'affrontaient dès le 13ème siècle et s'affronteront même jusqu'au 20ème siècle :
d'une part, une économie terrienne, donnant lieu au prélèvement local de la rente foncière en nature par les ordres privilégiés sur la paysannerie, sous les formes diverses des dîmes ecclésiastiques, des droits féodaux et seigneuriaux, des péages, des redevances banales, des métayages, des amendes de justice et des impôts régaliens ;
d'autre part, une économie marchande, englobant des flux délocalisés de marchandises, et où circule un profit en argent au bénéfice des commerçants, banquiers, fabricants, artisans ou même ouvriers itinérants.
Ces deux comportements économiques se transposent dans les représentations de la foi. Le catholicisme médiéval condamne les manieurs d'argent, taxés d'usure, et révère l'incarnation de la divinité dans les produits de l'agriculture. Le froment et le vin, formant l'assiette principale de la dîme (du latin "decima pars": la dixième partie, c'est à dire 10% de la récolte), sont réellement dans l'Eucharistie la chair et le sang du Christ, et non pas leurs symboles arbitraires, comme le croient les Cathares (et, plus tard, les Réformés). En outre, le catholicisme ne vénère-t-il pas la Terre et les lieux saints, jusqu'à prêcher la croisade en Terre Sainte ? Au contraire, le catharisme semble idéaliser ces "invisibles" que sont les flux de capitaux ou les contreparties comptables. Car au 13ème siècle déjà, le midi occitan, catalan ou italien pratiquait la monnaie de crédit, la lettre de change ou le prêt à intérêt, autour de l'industrie textile qui formait l'axe du marché.
Mais il serait simpliste de croire qu'entre ces deux systèmes économiques s'instaurait une lutte de classes. Les seigneurs féodaux, parce qu'ils régentaient les deux populations paysanne et citadine, eurent une attitude ambiguë, voire double : tout en se proclamant bons catholiques, il favorisaient en sous-main l'hérésie. Ils profitaient même du conflit pour s'approprier les biens fonciers du clergé, ainsi que le fera la noblesse protestante au 16ème siècle.
Sous la pression démographique
Tenons-nous en à l'essentiel. La longue domination médiévale de la rente foncière, que les historiens nomment l' "ancien régime économique", se fondait sur la primauté de la propriété ecclésiastique du sol et les droits réels de la féodalité, mais se scandait d'un mouvement oscillatoire, lié aux périodes récurrentes de confiscation, sécularisation, ou nationalisation des biens de l'Eglise par les pouvoirs laïcs. On compte quatre épisodes majeurs de dépossession du clergé, coïncidant avec des poussées démographiques, au 8ème siècle sous Pépin le Bref, puis du fait des hérésies du 13ème siècle, ensuite avec la Réforme du 16ème siècle, enfin par les révolutions libérales des 18-19èmes siècles, lesquelles donnèrent le pas au marché sur la rente et créèrent le "nouveau régime économique".
Ce mouvement oscillatoire pourrait bien avoir été, en Occitanie, plus ample et donc plus brutal qu'ailleurs. Tel était au 9ème siècle le dépeuplement de la zone pyrénéenne, que sa colonisation ouvrit d'immenses espaces vacants aux moines, qui installèrent le long chapelet de leurs couvents en lisière des forêts du Plantaurel, en s'y appropriant le sol et les droits fonciers y afférents. D'est en ouest, se succédaient les grandes abbayes de Fontfroide, Lagrasse, Saint Hilaire, Boulbonne, Lézat, les Salenques, le Mas d'Azil, Combelongue ou Sainte Croix.
Or, la grande poussée démographique des 11-13ème siècles, en provoquant la raréfaction et bientôt la disette des bonnes terres, ne faisait qu'alourdir le poids des rentes ecclésiastiques, par le seul jeu d'une offre rare et d'une demande massive, et qu'attiser donc les revendications ou les convoitises envers les privilèges de l'Eglise. Celle-ci, se sentant menacée dans ses intérêts temporels, fit assurer sa défense morale par le groupe des plus puissants propriétaires ecclésiastiques du temps, l'ordre monastique de Cîteaux ou cistercien, qui déjà se ramifiait dans tout l'Occident. Les Cisterciens avaient coutume d'implanter leurs établissements conventuels dans les déserts les plus reculés et de polémiquer contre les usuriers ou les intellectuels, ce qui les rendait insoupçonnables de complaisance pour la modernité, pour la concentration urbaine ou pour l'économie monétaire. Le porte-parole de l'ordre traditionnel fut Saint Bernard de Clairvaux (abbaye fille de Cîteaux), le grand adversaire du philosophe Abélard.
La stratégie défensive de l'Eglise fut on ne peut plus simple : d'abord détourner la jeunesse avide, en particulier la chevalerie, vers de lointaines et meurtrières croisades, ensuite contrer idéologiquement la bourgeoisie, surtout financière, des villes industrielles. Comme le midi de l'Europe était plus évolué que le nord, celui-là servirait de base pour la reconquête des âmes. On peut reconstituer cette stratégie en rapprochant des faits contemporains que les habituelles monographies n'ont que trop tendance à disjoindre, au point de les rendre inintelligibles.
L'ère des Croisades coïncide avec la croissance démographique, elle-même imputable pour partie au "petit optimum climatique" de l'époque. Commençant en 1098, elle s'achève en 1291 avec la chute de l'empire latin d'Orient. Or, Saint Bernard, qui prêcha la deuxième croisade à Vezelay, vint aussi en 1148 dans le Lauragais combattre le catharisme. En 1204, la quatrième croisade s'emparait de la pourtant très chrétienne Constantinople, et partageait l'empire byzantin entre les barons francs. Ce précédent dut plaire, on le réitéra. En 1208, le meurtre du légat du Pape, le cistercien Pierre de Castelnau, donnait au Souverain Pontife Innocent III l'occasion de proclamer la croisade contre le comte Raymond VI de Toulouse, ses vassaux et ses sujets, "pour avoir", selon le légat, "violé la paix du carême et des jours de fête, pour avoir confié aux Juifs des charges publiques et persécuté des abbayes, dépouillé de ses biens l'évêque de Carpentras, enfin parce qu'il protège les hérétiques". Cependant, la croisade contre les Maures d'Espagne faisait concurrence à celle des Albigeois, d'autant qu'en 1212 la victoire de Las Navas de Tolosa, remportée par le roi Pierre d'Aragon, d'ailleurs suspect de catharisme, ouvrait l'Andalousie aux ordres cisterciens (Calatrava notamment) ainsi qu'à la chevalerie errante.
La montée de la bourgeoisie
Plus dangereuse pour l'Eglise, la bourgeoisie des villes à la population croissante, et devenues presque industrielles, de Toscane, Lombardie, Lyonnais, Catalogne ou Languedoc, ne se piquait pas de croisades, mais d'affaires. Elle s'en prenait à la hiérarchie ecclésiastique qui lui faisait barrage, en l'attaquant par ses points faibles aux yeux des humbles, le monopole de la rente foncière, la dissipation somptuaire de ses rentes, l'incompréhensibilité de ses prêches en latin. Démagogie ou non, elle prônait les valeurs morales de la pureté et du dénuement, proposait d'abolir la hiérarchie cléricale et de saisir ses biens dans l'intérêt général, recommandait le libre accès de tous les fidèles à la Bible.
Au 12ème siècle, un riche marchand lyonnais, Pierre de Vaux ou Valdo, abandonna ses biens aux pauvres et prêcha lui-même la pauvreté, en fondant la secte chrétienne des Vaudois (qui donna son nom au canton helvétique de Vaud). Ceux-ci se répandirent en Italie du nord et dans le midi français, reprochant au clergé ses immenses richesses et réclamant la traduction des Ecritures en langue vulgaire. Persécutés, ils se réfugièrent dans les vallées alpines, où ils subsistent après avoir rallié la Réforme protestante, et dans les Pyrénées, notamment les pays d'Ariège, où vers 1200 on les comptait plus nombreux que les Cathares, avec lesquels on les confond souvent, mais à tort. On croit même qu'à cette époque Pamiers était majoritairement vaudoise. Mais peut-être le valdéisme était-il une foi trop populaire pour séduire la bourgeoisie toulousaine ?
Le catharisme fut au contraire une religion élitiste, qu'adoptèrent nombre de grands seigneurs occitans et surtout la grande bourgeoisie, au premier chef celle des "capitouls" de Toulouse, qui en fut la conscience et le bras armé pour tout le Languedoc. Cette aristocratie citadine n'avait qu'admiration pour Constantinople, alors la plus grande ville de la Chrétienté et la plus industrieuse, dont elle empruntait les canons esthétiques et les doctrines savantes. S'opposant au style du nord, fleuri à la mode des champs, et que les Italiens appelaient "gothique" par mépris, l'art roman du midi et notamment des Pyrénées s'inspirait des basiliques coptes et orthodoxes. Importé de Byzance, le catharisme triompha dans les cité drapantes d'Italie septentrionale, où il disposa longtemps de ses plus forts appuis, ainsi que dans le royaume maritime d'Aragon, cependant qu'en 1167 le patriarche Nicétas de Constantinople présidait le concile cathare de Saint Félix de Caraman, au Lauragais.
Radicaux à leur manière, les Cathares abolissaient la hiérarchie ecclésiastique et, corollairement, la propriété foncière du clergé. Ils interdisaient à leurs prêtres, appelés les "bons-hommes" ou les "barbes" (parce qu'ils portaient la barbe à la mode byzantine), et non les Parfaits, comme on le dit aujourd'hui, de vivre des rentes foncières ou des sacrements. Ceux-ci étaient donc souvent de pauvres tisserands qui vivaient de leur seul travail, à telle enseigne qu'au 13ème siècle la dénomination de "tisserand" ou "tissandier" était synonyme de Cathare.
"La profession de tailleur n'est exercée à Montaillou que par des parfaits de passage : bons Cathares, ils gagnent leur vie et leur ciel en ravaudant des tuniques ou en fabriquant des gants." (Emmanuel Leroy-Ladurie, Montaillou, village occitan).
Bien entendu, les dîmes étaient supprimées ou contestées, quoique les documents d'époque soient trop rares pour qu'on mesure le phénomène. Mais, à chaque fois qu'on l'atteignait dans ses oeuvres vives, l'Eglise sut réagir efficacement par une contre-réforme spirituelle.
Bien avant les conciles de Trente ou du Vatican, l'Eglise forma le projet de combattre l'adversaire avec ses propres armes idéologiques, la pureté et la pauvreté, et au coeur de sa base sociale, les villes elles-mêmes. Si austères fussent-ils, les Cisterciens s'avéraient trop ruraux pour cet objectif. La parade fut de créer les "ordres mendiants", Franciscains et Dominicains, Carmes et Capucins, qui eux aussi se recrutèrent dans les milieux urbains, firent v?u de pureté ou pauvreté et renoncèrent à la rente foncière pour ne vivre que des dons en argent.
En Toscane, la vie de François d'Assise commença comme celle de Pierre Valdo, le fils d'un riche marchand renonçait aux biens de ce monde pour prêcher le dénuement évangélique ; mais elle se conclut autrement, puisqu'après avoir pensé le condamner, et s'avisant du concours du peuple qu'il entraînait, l'Eglise approuva en 1223 son ordre des Frères mineurs, dit aussi Cordeliers, et le canonisa dès sa mort. De même, l'Eglise autorisait en 1215 l'ordre des Frères Prêcheurs, dit aussi Dominicains ou Jacobins, fondé par Saint Dominique en Languedoc.
La mission de ces ordres mendiants était de conjurer l'hérésie cathare, tant en Italie qu'en Occitanie, en reconquérant par le prêche et l'exemple les esprits des bourgeois, des artisans et des salariés. Au contraire des Cisterciens, ils n'implantaient plus leurs couvents dans les déserts sauvages, mais au c?ur des grandes villes. Les circonstances aidant, ils atteignirent leurs buts.
La création de l'Inquisition
Parce qu'elle se lie directement au catharisme pyrénéen, il faut insister sur la mission apostolique de Frère Dominique en Languedoc.
A l'orée du 13ème siècle, la situation prédominante de l'Eglise n'y était pas peu menacée, encore que les paysans n'y fussent guère séduits par les hérésies. Ayant pignon sur rue à Toulouse ou Pamiers, ou n'étant que de simples colporteurs, les marchands adhéraient à la foi cathare. La noblesse du comté de Foix, obligée de compter avec les abbayes bénédictines, au premier chef Boulbonne, et de partager avec l'épiscopat le pariage (association de deux seigneurs) des villes, était avide d'usurper les biens ecclésiastiques ainsi que les dîmes. Parmi les seigneurs favorables aux Cathares, on comptait, vers 1200, les Mirepoix, les Durban, les Château-Verdun et surtout le comte Raymond-Roger de Foix, dont l'épouse Philippa dirigeait à Dun une maison de Parfaites. Des deux soeurs du comte, Esclarmonde avait reçu le "consolamentum" à Fanjeaux, Cécile était vaudoise.
L'échec spirituel des Cisterciens étant manifeste, deux prélats espagnols, au retour de Rome en 1206, l'évêque Diego d'Osma et Dominique de Guzman, leur prodiguèrent le conseil "d'enseigner à l'exemple du Divin Maître en toute humilité, d'aller à pied sans attirail fastueux, sans argent, à la manière des apôtres" et à l'instar bien sûr des "bons hommes". Payant d'exemple, Diègue et Dominique prêchèrent à Montpellier, puis à Montréal et Fanjeaux en 1206-07. C'est sur un chaînon des Corbières, non loin de Mirepoix, qu'eut lieu le miracle du feu, qu'on voit souvent représenté dans les églises d'Italie pour l'édification des Cathares locaux ; jetés d'emblée au bûcher, les livres cathares se consumèrent, mais les écrits de Dominique furent projetés en hauteur. C'est là aussi qu'à Prouille celui-ci fonda sa première communauté de religieuses.
En 1207, un célèbre colloque se tint au Castella de Pamiers, sous l'arbitrage d'Arnaud de Crampagna. La ville était en majorité vaudoise, de sorte que Diègue et Dominique, assistés de Navarre, l'évêque de Saint Lizier en Couserans, eurent à y combattre deux hérésies à la fois. Les arguments échangés ne nous ont pas été conservés. Mais on sait qu'à Esclarmonde de Foix, la Parfaite qui intervenait de toute sa fougue, Etienne de la Miséricorde lança cette méprisante apostrophe: " Dame, allez donc filer votre quenouille, ce n'est pas à vous de prendre la parole dans une assemblée comme celle-ci !". Dominique n'eut pas le succès escompté, si bien qu'on lui prête cette menace : "Là où ne vaut la bénédiction, vaudra le bâton".
Toulouse prise, il y fonda en 1215 son ordre des Frères Prêcheurs. En 1223, deux ans seulement après sa mort, le pape Grégoire IX déchargeait les évêques de la mission de traquer l'hérésie, et la confiait aux Dominicains pour le Languedoc et aux Franciscains pour la Provence.
Pamiers fut encadrée par les couvents de tous les ordres mendiants à la fois et, de nos jours encore, la tour des Cordeliers y perpétue le souvenir de la croisade.
Sang et or
La croisade dite des Albigeois commença en 1209 sous le commandement spirituel d'Arnaud Amauri, abbé de Cîteaux, et sous le commandement militaire de Simon de Montfort (aujourd'hui Montfort l'Amaury en Yvelines), par le sac tragique de Béziers, et la célèbre exhortation : "tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens". Pour autant, peut-on prétendre qu'il s'agissait d'une guerre de religions, opposant des fidèles à d'autres fidèles, ou d'une guerre nationale, Occitans contre Français ? Rien n'est moins avéré, et l'examen des faits suggère même l'inverse.
Une vraie guerre de religions voudrait deux camps de religionnaires convaincus, comme au 16ème siècle. Il n'en est rien. A part les "bons hommes", dont le sacerdoce est déclaré, l'opinion religieuse des protagonistes connus est équivoque, indécise, ou du moins oscillante. Les historiens consacrent des pages à se demander quelle était la confession des comtes successifs de Toulouse ou de Foix, ainsi que de leurs vassaux, sans jamais parvenir à conclure dans un sens ni dans l'autre, tant leurs protestations de fidélité à l'Eglise coexistaient avec les faveurs et les protections accordées aux hérétiques. En tout état de cause, les vrais Cathares n'ont jamais dû composer qu'une étroite élite, mais à l'influence décisive, parce que les plus cultivés. Quant aux soi-disant croisés, l'appât du gain, du butin, de la rançon, du pillage ou des plaisirs sadiques était plus opérant sur eux que la foi du Christ. Au demeurant, les deux côtés stipendiaient des mercenaires ou des routiers pour mourir aux lieu et place des commanditaires.
Simon de Montfort pensait à se constituer une principauté personnelle de tout le Languedoc, en payant ses compagnons chevaliers et ses compagnies de routiers avec l'argent des banquiers de Cahors, qu'il lui fallait rembourser, avec les intérêts, en faisant suinter l'or de la peau de tous les Languedociens confondus, Cathares, Vaudois, Juifs et Catholiques ensemble. Son but stratégique était de succéder au comte de Toulouse, de s'emparer de la seigneurie de Pamiers et de remplacer tous les vassaux de Raymond VI par ses propres féaux, venus de France et avides de fiefs. Son échec fut militaire et politique. Malgré la force de la chevalerie française, il buta sur la résistance tenace du pays de Foix, aussitôt constitué en "sanctuaire" du catharisme derrière la muraille calcaire du Plantaurel, que l'Ariège échancrait à peine au pas de La Barre (au niveau de Vernajoul). Bien que l'épiscopat l'ait fait nommer comte de Toulouse, il se heurta aussi bien à la résistance morale des Toulousains, disciplinés derrière leurs Capitouls.
Dès septembre 1209, à peine Béziers et Carcassonne étaient-elles prises et massacrées, que Simon de Montfort marchait sur l'Ariège, à l'appel de l'évêque de Pamiers. Les Croisés n'eurent la victoire que sur le piémont. Le maréchal Guy de Lévis enlevait Mirepoix et la recevait en fief. De Pamiers à Lavelanet et Bélesta, ce sera désormais la Terre du Maréchal, et les ducs de Lévis-Mirepoix porteront jusqu'à nous le titre flamboyant de "Maréchal de la Foi". L'évêque de Pamiers ouvrit sa ville à Simon et le substitua au comte de Foix dans le pariage. Les croisés s'emparèrent aussi de Saverdun et brûlèrent Foix, mais sans pouvoir prendre le château ni s'avancer dans le Sabarthès. Montfort ravagera également Saint Lizier et Saint Girons, quoique les Cathares fussent rares en Couserans, mais pour châtier le vicomte de Comminges de prêter main-forte à Raymond VI. Soucieux de légitimer et pérenniser sa conquête, il édicta même les Statuts de Pamiers, le 1er décembre 1212, transposant en Languedoc la coutume féodale d'Ile de France, rétablissant les dîmes et autres redevances ecclésiastiques, obligeant les paroissiens à fréquenter la messe sous peine d'amende, imposant à tous de saisir les hérétiques... Pourtant, il achoppait devant les contreforts pyrénéens, alors que les Toulousains, se réfugiant à Montségur, en faisaient la citadelle de la foi cathare. On gage que le libre peuple des bûcherons, des pâtres, des mineurs ou des forgerons était autrement plus rebelle aux croisés que les céréaliculteurs de la plaine ou du terrefort ! L'obstacle est demeuré infranchissable, puisqu'en 1228 encore, Guy de Montfort était occis d'une flèche au siège de Varilhes et que l'armée royale restait bloquée à Saint Jean de Verges, impuissante à forcer le pas de La Barre.
A peine s'était-il fait proclamer comte de Toulouse que, devant ses exactions, tout le Languedoc s'insurgea contre Simon de Montfort, qui fut tué d'un boulet au second siège de la Ville Rose, en 1218. Les croisés débandés n'eurent plus qu'à fuir au nord leurs fiefs, à peine conquis, sitôt retournés contre eux. On ne saurait pourtant parler d'un soulèvement national. Les horreurs d'une guerre sauvage avaient pu solidariser un moment des villes et des régions qui ne parlaient pas le même dialecte occitan, face aux cruels barons du nord. Puis les Languedociens se prononcèrent pour le nouveau roi de France, Louis IX, dont ils attendaient qu'il instaurât la paix royale, ainsi qu'en son domaine francilien. Le jeune comte Raymond VII ne put alors qu'abdiquer ses droits par le traité de Meaux en 1229, faisant son héritier du frère du roi, Alphonse, ou à défaut du roi lui-même. Le comte Roger IV de Foix se rallia si vite à Saint Louis qu'il lui prêta directement l'hommage, ce qui consacrait la séparation du comté de Foix d'avec le Languedoc, pour une très longue période jusqu'en 1789.
La couronne eut la prudence de confirmer les droits des seigneurs occitans et de faire respecter les dialectes d'oc par ses administrateurs, si bien que le Languedoc s'attacha aux Capétiens et fut le principal soutien des Valois durant la guerre de Cent Ans contre les Anglais.
La répression terroriste en Languedoc
Les barons de la première croisade albigeoise (1209 - 1218) menèrent une guerre de razzia contre tous et se firent exclure par la force. La croisade royale, qui lui fit suite (1226 - 1229), divisa pour régner et y réussit. Elle concentra ses coups sur la bourgeoisie cathare ou juive de Toulouse et des grandes villes pour la couper de l'aristocratie féodale. Si l'on comprend bien la stratégie royale, il s'agissait de liguer le clergé, les feudataires et les fonctionnaires, tous bénéficiaires des rentes foncières, contre les hommes d'argent, soupçonnés d'avoir fait pacte avec Satan, la défense de la foi servant d'alibi pour spolier et ruiner les prémisses d'une économie monétaire.
Les mesures alors prises au nom de Saint Louis ne sont pas sans nous évoquer les interdits jetés, dans un très proche et très douloureux passé, contre la "ploutocratie". Par le traité de Meaux, le comte de Toulouse s'obligeait à faire restituer tous leurs biens aux églises, payer désormais les dîmes et verser des indemnités aux abbayes de Cîteaux et Clairvaux. Il décidait aussi d'exclure les Cathares des fonctions publiques et ordonna que, s'ils se convertissaient, ils portassent sur la poitrine une double croix de couleur jaune. Les catholiques eurent même l'obligation morale de dénoncer les hérétiques à l'Inquisition. Les peines infligées étaient le bûcher ou le "mur", c'est à dire la mise aux fers avec jeûne au pain sec et à l'eau, souvent jusqu'à la mort, mais aussi l'exil, l'obligation de faire pèlerinage ou de simples amendes. Les officiers royaux percevaient les biens confisqués aux condamnés, appelés les "encours", et ne se faisaient pas faute d'aggraver à leur profit les condamnations des Inquisiteurs. Parallèlement, défense fut faite aux Juifs de prêter à gros intérêts, d'exercer des emplois publics, d'avoir des domestiques chrétiens, et obligation leur fut signifiée de porter la rouelle sur leurs vêtements ainsi que de verser à leur paroisse (catholique) 6 deniers par feu chaque année.
De telles primes à la répression ou à l'abjuration eurent bientôt mis à merci les bourgeois, qui ne pouvaient se cacher, étant les plus en vue. Le terrorisme moral s'offrait à grand spectacle : le jour même de 1234 où Toulouse célébrait la canonisation de Saint Dominique, une vieille femme hérétique fut publiquement brûlée (source: les Cahiers de Fanjeaux). En 1320, la croisade des Pastoureaux, qui vint jusqu'à Lézat, fut même l'occasion de vastes pogroms anti-juifs. Ceux qui ne se convertissaient pas fuyaient, les riches Cathares vers l'Italie, Milan ou Crémone, les Juifs vers l'Europe de l'est. C'est alors que la citadelle de Montségur, de refuge qu'elle était aux proscrits, devint la capitale spirituelle de la foi dualiste, grâce à l'émigration de bourgeois toulousains vers le pog pyrénéen - quelque chose d'analogue à ce que sera plus tard Genève pour la bourgeoisie réformée et persécutée de Lyon.
La prise de Montségur en 1244 fut l'application de la stratégie de division, dont on a dit l'habileté. Les évêques de Narbonne et d'Albi ainsi que le sénéchal de Carcassonne mirent le siège sous la forteresse avec des machines et des catapultes. Les Parfaits avaient pour chef spirituel Bernard Marti, et Pierre-Roger de Mirepoix commandait la place. Peut-être les opérations auraient-elles échoué, si les paysans du village, dans la nuit du 1er au 2 mars 1244, n'avaient ouvert aux croisés le sentier des chèvres de la face nord, la moins accessible et la moins défendue. Les chevaliers eurent la vie sauve. Les Parfaits au nombre de 225 furent livrés aux bûchers sur le Prat dels Cramats. Le château fut donné à Guy de Lévis, dont les descendants y tiendront garnison jusqu'au 16ème siècle.
L'obsession répressive en pays de Foix
Or, comme il est advenu de la Réforme au 17ème siècle, les persécutions, les supplices, l'exil ou les abjurations forcées des féodaux et bourgeois transformèrent le catharisme en une religion populaire, mais clandestine. Le ressentiment contre les clercs et les Français, associés dans la même haine, multiplia les conversions dans les professions rétribuées en argent : artisans, travailleurs du bois, ouvriers errants, colporteurs, plus rarement chez les paysans. Des réseaux secrets se nouèrent. Les Parfaits se cachèrent dans les cabanes et rasèrent leurs barbes. L'apogée du catharisme ariégeois ne fut donc pas antérieur, mais postérieur à la chute de Montségur, non sans donner du fil à retordre à l'Inquisition de Pamiers jusqu'en 1330.
Il semble que le "sanctuaire" fuxéen ait perduré au sud du pas de La Barre, en liaison avec l'économie forestière, pastorale et minière des Pyrénées, ou même grâce à la protection de la Catalogne, la foi cathare y étant moins réprimée. Déjà en 1213, le roi cathare d'Aragon était venu jusqu'à Muret pour combattre la croisade, d'ailleurs sans succès. Lorsqu'en 1272 Philippe le Hardi tenta de prendre le comté de Foix, le roi d'Aragon s'avança derechef jusque sous Pamiers pour l'en dissuader. Un notaire d'Ax (les-Thermes), Pierre Authier, n'avait-il pas opportunément "prouvé" que de temps immémorial les places du Sabarthès relevaient de la mouvance aragonaise ? Or, ce même Pierre Authier, assisté de son frère Guillaume et de plusieurs émules, prêcha dans la vallée de l'Ariège le renouveau de la foi cathare, après un voyage en Lombardie, et lui donna, vers 1300, un lustre qu'elle n'avait jamais connu.
La réaction de l'Inquisition de Pamiers fut si vive qu'elle encouragea partout la délation, fit saisir de nombreux bergers et arrêter même tout le village de Montaillou, sur le plateau de Sault, pour aboutir à de spectaculaires condamnations au bûcher ou au mur. Il n'est peut-être pas indifférent de noter que la rafle de tout un village, en 1308, précédait de peu les pires mesures royales contre les manieurs d'argent, à savoir le premier bannissement des Juifs de France en 1310 et l'anéantissement de l'ordre des Templiers en 1312. De tels faits semblent témoigner d'une volonté de diaboliser la création, les prêts et la spéculation monétaires, au bénéfice de la rente du sol. Pour le comté de Foix, la nouvelle répression de l'hérésie introduisait une contre-offensive de la dîme.
Le grand inquisiteur de Pamiers était originaire de Saverdun. D'abord profès de Cîteaux à l'abbaye de Boulbonne, puis étudiant à l'Université de Paris, ensuite abbé de Fontfroide, Pierre Fournier fut élevé à l'évêché de Pamiers en 1317 ainsi qu'à l'évêché de Mirepoix en 1326; enfin il devint pape en 1334 sous le nom de Benoît XII et régna en Avignon. N'étant pas peu fier du "doux et cruel acharnement" (Leroy-Ladurie) qu'il mit à persécuter les populations d'Ariège, ce prélat emporta avec lui les manuscrits des greffiers, enregistrant en latin les minutieux interrogatoires qu'il présidait et qui furent à sa mort archivés aux bibliothèques vaticanes. On les y retrouva, pour y lire avec stupeur que le futur pape avait l'art de faire avouer les forfaits les plus invraisemblables, par exemple que les commandeurs des léproseries du Languedoc s'étaient conjurés avec le roi de Grenade et le Soudan de Babylone (sic) pour empoisonner les sources et les puits, à commencer par ceux de Pamiers (Jean Duvernoy: Inquisition à Pamiers, 1986). Pour notre meilleure connaissance du catharisme, on y découvrit aussi la copie des procédures diligentées contre les habitants de Montaillou, dont Emmanuel Leroy-Ladurie tira, en 1975, son grand ouvrage d'ethnographie médiévale et pyrénéenne : Montaillou, village occitan de 1294 à 1324.
On y apprit en outre les raisons profondes de l'obstination inquisitoriale, qui étaient de porter les dîmes sur les grains du dixième au huitième, dans tout le pays de Foix, de les étendre aux navets ainsi qu'aux légumes secs, lesquels jusqu'alors ne les supportaient pas, et surtout au bétail avec tous les produits carnés (les "carnalages"). Pareilles exactions n'étaient pas sans susciter la réprobation et l'anticléricalisme populaires, telles qu'on les perçoit dans la déposition à Pamiers d'un écolâtre du prieuré de Saverdun contre un cordonnier et un mercier d'Unac, qui auraient osé murmurer:
"Les clercs devraient être chassés et, s'ils pouvaient s'entendre avec le comte de Foix, ils feraient bien en sorte qu'aucun clerc ne montât au-delà du pas de La Barre".
Pour ces propos séditieux, le cordonnier Pierre Guilhem fut condamné au "mur" le 13 janvier 1329.
La fin d'une époque et la naissance d'un mythe
Le catharisme pyrénéen disparut à peu près dans ces années, avec le supplice du dernier Parfait connu : Guillaume Bélibaste, né à Cubières (Aude), longtemps fabricant de peignes de tisserand à Lérida et brûlé en 1321 au château de Villerouge-Termenés. De cette disparition, les sévices de l'Inquisition ne furent peut-être pas la seule cause, mais aussi la décadence de Constantinople, les exigences excessives de la foi dualiste et, en tout cas, l'effondrement démographique entre 1320 et la Grande Peste de 1348. Dès ce moment, la création des bastides s'interrompit en Languedoc et la dépopulation, d'environ la moitié, atténua la rareté des sols du même coup qu'elle supprimait l'excès des hommes, en dégradant les rentes foncières et en faisant bondir les rémunérations salariales à un niveau inouï. L'inflation des salaires et des prix dépréciait même les rentes fixées en argent. L'appauvrissement des propriétaires et des rentiers avec l'aisance retrouvée des artisans et ouvriers ne pouvaient qu'affaiblir la valorisation morale de la pureté et de la pauvreté.
Le catharisme n'eut pas de suite, à la différence du valdéisme, qui s'est maintenu en rejoignant la Réforme protestante. S'il y a d'évidentes ressemblances entre les croisades des Albigeois et les guerres de religions des 16ème et 17ème siècles, c'est que les mêmes causes dans les mêmes conditions provoquent les mêmes effets:
" Dans l'interminable histoire des hérésies occitanes, du XIIIème au XVIIème siècle, le conflit des dîmes est sous-jacent, récurrent; il court comme un fil rouge à travers les contestations paysannes; il constitue, du Catharisme au Calvinisme, un commun dénominateur, plus évident que ne l'est la continuité dogmatique, souvent absente." (E. Leroy-Ladurie, opus cité).
Alors, pourquoi un conflit aussi terre-à-terre s'est-il résumé dans la mémoire collective au mythe du Saint Graal, le calice d'or et de pierres précieuses où Joseph d'Arimathie aurait recueilli le sang du Christ en croix, et que les Cathares, ses dépositaires, pourraient avoir caché dans les failles du pog de Montségur ? Ce n'est là malheureusement qu'une pieuse légende, d'ailleurs née d'un quiproquo, mais typique des fantasmes de cette époque troublée. En 1204, les Croisés s'emparèrent à Constantinople du reliquaire, orné d'un treillis de chrismes, qui renfermait le Saint Suaire. Cet objet disparut alors, non sans susciter l'espérance de sa réapparition miraculeuse. Or, en Occident, la confusion sémantique entre deux mots latins : le "cratis" (treillis) et le "crater" (vase) fit croire à l'existence du Vase sacré, ensuite appelé le Graal par déformation du mot "crater" en langue allemande. Pareillement, la disparition de la vraie icône (en latin "vera icona") de Constantinople donna lieu, par un contre-sens de traducteur, à la légende de Sainte Véronique arborant le linceul où s'était imprimée la Face sanglante du Christ. D'ailleurs, comment le Saint Graal aurait-il appartenu aux Cathares, qui selon leur foi n'y auraient vu qu'un objet matériel et que l’?uvre de Satan ? Mais on peut sentir dans ces mythes le remords des pieuses gens pour tant de crimes commis et tant de sang versé dans cette ruée vers l'or que furent les Croisades du 13ème siècle.
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